Lundi 21 avril 1919
Lundi de Pâques.
Après un court séjour à la campagne, retour à B. Quand le train omnibus s’arrête en gare de T., nous constatons qu’il n’y a qu’un seul vagon de voyageurs et que les vagons à bestiaux sont bondés de poilus. Et nous sommes une centaine à vouloir y monter ! Complaisants et rieurs, les poilus se tassent et hissent quelques voyageurs. Les voyageurs envahissent les plateformes, les vigies. Enfin, le chef de gare nous ouvre un fourgon aux trois quart plein de colis et nous y pousse. Nous [défonsons ?] et enjambons des boîtes, et tombons dans des paniers de fromages d’Auvergne ; ce siège est assez moelleux, mais nous ne pouvons placer nos jambes et nos pieds. On rit. Attention aux grenades, aux bombes, s’il y en a. M., que le hasard a conduit sur un panier voisin, me conte qu’il a voyagé de Paris à Limoges dans les water closets ! Dans cette dernière ville, un accident de chemin de fer les a arrêtés devant des trains à demi écrasés… Aïe ! la porte à coulisse entre ouverte de notre fourgon par où venait un peu d’air et de lumière se ferme par suite des trépidations : Ah, les voyages en ce moment manquent de confort mais non de pittoresque. Par exemple, je ne m’étonne pas que force colis disparaissent ; qui nous empêcherait de piller le fourgon ? Ça sent violemment le fromage. Oui, mais c’est un vagon boche, un de ces vagons rouge brun que l’Allemagne a dû livrer et ça sent ainsi la victoire, ainsi ce moyen de locomotion m’agrée.