Lundi 10 janvier 1916

 

Avant 7 heures, les rues et la place de l’Hôtel-de-Ville où elles convergent sont presque désertes. À 7 heures, les magasins y dégorgent leur personnel et les curieux, les flâneurs s’y précipitent en même temps. Les cris des marchands de journaux s’élèvent aussitôt et ces derniers, qui semblent sortir de sous terre comme des personnages de féeries, sont entourés et dévalisés. Voici bien des jours pourtant, qu’ils n’ont pas dit, entre haut et bas : « Y’a du bon aujourd’hui, y’a du bon ! »

 


Samedi 15 janvier 1916

 

Mauvais sons de cloches : esprit de révolte, lassitude ; mauvais effet des permissions.

 


Mardi 18 janvier 1916

 

La trahison monténégrine éclate à tous les yeux. Aux uns la défaite physique, aux autres la défaite morale…

 


Mercredi 19 janvier 1916

 

Pour obtenir une permission de quatre jours, un jeune soldat de la classe 17 voudrait faire faire un faux au maire de Brive et une fraude à son capitaine, qu’il abhorre à cause de sa fermeté.
Cet officier est du Nord, il suspecte, mène dur les méridionaux du 17e corps où il commande, et quelques révoltés se promettent, s’il les mène à l’assaut, de lui réserver leurs premières balles. Hélas ! Depuis longtemps, le 17e corps a le plus mauvais esprit. Certain journal languedocien y est pour beaucoup.

 


Mercredi 26 janvier 1916

 

Que s’est-il passé au Monténégro ? Énigme, Mystère. On renonce à rien comprendre, sinon que la France maternelle ouvre ses bras à tous les malheureux, qui se tournent vers elle et se jettent sur son sein.

 


Dimanche 30 janvier 1916

 

Ces soldats aigris, indisciplinés, frondeurs, presque révoltés par de longues souffrances quand l’ennemi se présente, se retrouvent bons et vaillants Français. Des permissionnaires nous disaient récemment : « Au 326, nous ne voulons plus sortir des tranches. » Et ces jours-ci, à Neuville-Saint-Vaast, ceux du 326 se sont battus comme des lions contre un corps d’armée qui n’a pu prendre leurs tranchées : voilà mes « grognards » à l’ordre du jour de l’armée.

Tout a doublé de prix.
Timbres-monnaie. Plus de pétrole, de bougie.
Le papier va peut-être manquer.
Le pavillon des États-Unis à l’expos[ition universelle] de 1900.

 


Lundi 31 janvier 1916

 

Mauvais sons de cloche. Des permissionnaires font entendre que les soldats ne veulent plus marcher, plus obéir, que les permissions les ont démoralisés. Et les Allemands viennent de franchir la Somme, à Frise. Si les hommes ne veulent plus défendre leur patrie et leur famille, que les femmes les remplacent ! Elles sauront au moins montrer comment on meurt…
Elles ont fait preuve de courage et ont des chefs tout désignés : Macherez, Émilienne Moreau, Marcelle Semmer, Mlle Robin, Clotilde Boucry…
C’est une gloire pour la France qu’il y ait eu une Jeanne d’Arc ; mais c’est une honte pour les hommes de son époque qu’il ait fallu une bergère de 18 ans pour remplir la tâche devant laquelle ils reculaient.
L’héroïsme des femmes n’est pas à l’éloge des hommes.