Samedi 1er août 1914

L’Allemagne, qui feignait hypocritement d’adhérer à des offres de médiation, adresse un ultimatum à la France et à la Russie. Sans doute celui-ci pose, comme celui de l’Autriche à la Serbie, des conditions inadmissibles.

On vient d’afficher à la mairie la mobilisation générale.
Dans les rues, où se pressaient depuis deux jours déjà des gens avides de nouvelles qui s’arrachaient les journaux, la population s’est répandue tout entière nerveuse, bouleversée. On s’interroge, on se communique les renseignements, on s’encourage, on s’afflige :
« Vous partez ? Quand ?… Votre mari, votre père ?
– Je pars le deuxième jour. Il s’en va le cinquième. »

Le tocsin domine ces rumeurs ; le roulement de la générale retentit tantôt près, tantôt dans l’éloignement. Un merle qu’on ne voit pas siffle « Aux armes citoyens ».

Des femmes pleurent. Les plus énergiques se disent : « Faisons des provisions, tout va augmenter. Plus tard, les denrées peuvent manquer. » À l’épicerie, il y a bientôt foule. Un employé m’engage à ne pas oublier le sel car les salines sont réquisitionnées. On se dispute le sucre, les pâtes, le riz, le pétrole. Une femme qui demande de la liqueur et des gâteaux est vertement rabrouée par un brave « populo » : « On ne vient pas un pareil jour acheter de quoi faire la noce. On achète, comme moi, de quoi nourrir sa famille. Je pars et j’ai cinq gosses à faire vivre. Fichez-moi le camp ! Votre Gauloise, ça ne presse pas ! » La femme, poursuivie par les remontrances du travailleur, se dissimule dans les groupes.

Avant de rentrer, je serre la main à cinq ou six jeunes hommes de la première fournée. Quelques-uns sont des soutiens de famille et je m’attriste pour eux et leurs parents. À combien d’entre eux serrerai-je de nouveau la main ? Les visages des femmes sont contractés par une douleur contenue. J’en remarque une pauvrement vêtue et portant un bébé. Celui-ci met en jouant sa menotte sur la bouche crispée de sa mère et les larmes mouillent le bras potelé du petit. Que les femmes fardées et en toilettes extravagantes paraissent hideuses et méprisables aux lueurs de la guerre qui s’allume !

Mon aimable propriétaire, Mme F., est accablée du départ de son fils unique, un beau garçon de 27 ans. Cependant, le soir, je l’entraîne sur la place de l’Hôtel-de-Ville, au passage de la retraite. Entourée par la population, la musique joue la Marseillaise que tous les hommes chantent tête nue, tandis que les femmes applaudissent. Près de moi, sourient deux tout petits pioupious qui paraissent des enfants, ayant encore leurs dents de lait. Ils remarquent l’air affligé de Mme F., s’informent et la consolent gentiment. Je leur dis : « Tout ce que je regrette, c’est de ne pas être de la partie. » Et à deux autres : « Vous n’êtes pas des soldats ordinaires, vous êtes des justiciers » ; mais ils ne comprennent pas jusqu’à ce que je leur aie traduit le mot par vengeurs. Un remous nous sépare. Suivie par la jeunesse qui clame « Vive l’armée ! Vive la guerre ! » et ce qui réédite un peu trop 70 « À Berlin ! », la retraite passe sous les lumières dans un impétueux élan de patriotisme comme si elle courait à la frontière.

Assassinat de .

Acquittement de Mme .

 La mobilisation

 

La Croix de la Corrèze, 9 août 1914. Archives municipales de Brive, 8 S 980.

La Croix de la Corrèze, 9 août 1914.
Archives municipales de Brive, 8 S 980.

À Brive, la mobilisation commence par l’affichage en mairie, le 1er août 1914, de « L’ordre de la mobilisation générale ». Tout était prêt : l’affiche avait déjà été imprimée et il a suffi de rajouter, à la main, le jour fatidique…
À l’annonce de cette nouvelle, la population briviste s’est déplacée à la fois bouleversée et nerveuse. Les citadins s’interrogent, se communiquent des renseignements et s’encouragent mutuellement. Dans la perspective de probables réquisitions, quelques-uns font des réserves en denrées de base.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.

Jean Jaurès (1859-1914)

Né à Castres, dans le Tarn, député de Carmaux, Jaurès est l’un des chefs de file du parti socialiste. Grand orateur et pacifiste convaincu, il est assassiné, à Paris, le 31 juillet 1914.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.

Henriette Caillaux (1874-1943)

Épouse de Joseph Caillaux, ministre des Finances, elle assassine le journaliste Gaston Calmette, directeur du quotidien Le Figaro, le 16 mars 1914. Elle est acquittée le 28 juillet 1914.

Carte postale. Collection Jean-Louis Ladeuil.

Carte postale. Collection Jean-Louis Ladeuil.


Dimanche 2 août 1914

Les adieux et la chasse aux nouvelles continuent. Les difficultés angoissantes commerciales et monétaires augmentent. On puise un peu de réconfort dans l’assurance que l’Angleterre est avec nous et que l’Italie restera neutre. Les autos, les voitures, les chevaux sont réquisitionnés. Quelles fiévreuses, quelles trépidantes allées et venues. Quelle intensité de vie dans notre petite ville et notre morne train-train.

Les réquisitions de chevaux

 

Carte postale. Collection Jean-Paul Dutheil.

Carte postale. Collection Jean-Paul Dutheil.

 

L’armée française étant hippomobile, les réquisitions militaires affectent principalement les chevaux. Potentiellement, tous les chevaux de plus de six ans peuvent être concernés : les exceptions étant ceux réputés indispensables au bon fonctionnement des services de l’État, les pensionnaires des haras nationaux et, bien sûr, les juments en gestation et celles suitées d’un poulain. Au total, lors du conflit, l’État va en prélever 950 000, toutes races confondues.
À Brive, par exemple, en 1914, 116 chevaux sont classés et donc susceptibles d’être requis pour le service de l’armée, en cas de mobilisation : 45 partiraient alimenter des régiments du train, 49 seraient affectés à des unités d’artillerie et 11 autres rejoindraient des compagnies de dragons.
Selon une délibération du conseil municipal de Brive en date du 3 juillet 1915, ce sont finalement 124 chevaux qui ont été réquisitionnés, ainsi que 46 voitures et 17 tombereaux.Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.


Lundi 3 août 1914

À 4 heures, pour notre armée, messe émouvante. L’église est pleine comme un jour de Pâques. M. le curé a trouvé l’éloquence de l’émotion et quand il a pleuré sur les victimes futures dont plusieurs membres de sa famille seront peut-être, tous les fidèles ont pleuré avec lui. Oh ! Comme on a prié à cette messe !

À l’aube, clairons et tambours ont retenti et les premiers mobilisés nous ont quittés. Des jeunes filles de la société avaient hier fleuri leurs trains ; au passage, ils recevaient et mettaient, radieux, des fleurs au canon de leur fusil, à leur boutonnière, à la hampe des fanions ; des trains fleuris partaient des rires, des larmes, des chants. Départ de fête, presque de féerie. Pour quel drame ?

Tout le jour, les rues s’emplissent d’hommes portant un panier, un baluchon, une paire de souliers. Des femmes, des enfants les accompagnent parfois. Quelques-uns portent leur dernier né sur leur bras, pour le sentir plus près d’eux. De faux bruits circulent : 1 500 uhlans prisonniers,  mort en éventrant un dirigeable, 16 000 Allemands prisonniers des Russes. Il éclot des réflexions d’une prodigieuse naïveté : « Paraît que les Français sont déjà à Berlin ! »
Des loustics font rire qui allait pleurer.
« Voisin, au revoir, je vous donne rendez-vous à Berlin pour l’apéritif. Si j’arrive le premier, je préparerai tout !
– C’est ma femme qui est contente ! Je lui ai promis de lui rapporter une robe de cour.
– T’as mal au cœur, pauvre petit ?
– Vite une tasse de tilleul pour mademoiselle ! »

Vers 1 heure, le bruit se répand que Girardin, le photographe suisse, est un espion ; qu’il photographiait nos engins de guerre ; qu’il avait reçu 25 000 F pour faire sauter le , etc., etc. La foule se précipite dans sa maison, brise tout, veut jeter la bonne par la fenêtre et pousse des cris de mort contre l’étranger qui se cache dans le grenier d’un voisin. Les femmes sont les plus excitées. Notre ami le lieutenant P. découvre le photographe, l’emmène par le jardin et l’enferme à la gendarmerie pour que la populace ne le lynche pas. Le premier adjoint harangue la foule et l’engage de se retirer mais deux mille personnes persistent à attendre l’espion et quelques forcenés, grimpés sur une maison en construction, tiennent des briques toutes prêtes. Une femme crie dans la foule : « Je veux l’assommer avec mon parapluie, il a tiré le portrait de mon mari pour l’envoyer à Berlin. »
Un passant, roux de cheveux comme Girardin, est un instant pris pour lui et malmené. Mise en train, la foule découvre des complices au photographe si bien qu’un déclare : « Quelle sâle (sic) ville ! C’est plein d’espions. »

On n’imaginait pas que la mobilisation arrêterait tout, aussi complètement. Du reste, on ne se plaint pas, on est plutôt content de souffrir un peu pour le pays. Le charbon a été réquisitionné ; j’ai pu me procurer deux quintaux de bois. Ce qui nous prive le plus, c’est le manque de nouvelles. Les journaux ne paraissent ou n’arrivent plus. L’ est proclamé en France. Les mobilisés ne peuvent hanter les auberges qu’aux heures des repas. Des patrouilles circulent à 9 heures et demi et l’on ferme pour plusieurs mois les établissements restés ouverts. Les routes, les ponts sont barrés et il faut un sauf-conduit pour les traverser ; on ne se rend d’un département à l’autre qu’avec un passeport. Tout cela gêne l’espionnage et maintient l’ordre. Tant mieux !
J’ai souvent regretté que nos gouvernants, notre magistrature ne fussent pas plus énergiques.

La Croix de la Corrèze, 9 août 1914. Archives municipales de Brive, 8 S 980.

La Croix de la Corrèze, 9 août 1914.
Archives municipales de Brive, 8 S 980.

 

***

Espionnite

Au moment où la mobilisation s’accomplit, Brive n’échappe pas à la vague d’espionnite qui parcourt le pays. Le nom de famille, les origines, comme la profession, sont susceptibles de donner lieu à une dénonciation.
Émile Girardin, citoyen suisse installé face au palais de justice, en fait l’amère expérience. La rumeur accuse ce photographe étranger de vendre à l’ennemi des clichés concernant nos engins de guerre ! La foule prend d’assaut son magasin et il ne doit sa survie qu’à une fuite par les toits. Après s’être réfugié à la gendarmerie, il sera finalement lavé de tout soupçon par le Parquet.
Ce cas n’est pas isolé : en France, à la même période, d’autres personnes seront victimes d’accusations tout aussi fallacieuses.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.

Roland Garros (1888-1918)

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 1949.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 1949.

Né à La Réunion, cet aviateur passe à la postérité pour avoir réussi la première traversée de la Méditerranée en 1913. Mobilisé durant la guerre, il meurt lors d’un combat aérien le 28 octobre 1918 à Vouziers, dans les Ardennes.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.

Viaducs de Vignols

Les viaducs ferroviaires de Vignols, en Corrèze, sont au nombre de sept. Construits entre 1873 et 1875, ils ont permis la première liaison directe entre Brive et Limoges.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.

Réserve militaire

Ensemble des citoyens qui, ayant effectué leur service militaire, ne sont pas appelés à combattre immédiatement lors d’un conflit.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.

État de siège

Régime d’exception qui, en cas de péril national et par décision ministérielle, réduit les libertés individuelles.Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.


Mardi 4 août 1914

L’Allemagne a déclaré, comme on s’y attendait, la guerre à la France et à la Russie ; l’émotion est moindre aujourd’hui que samedi ; on a déjà pris son parti en brave. Cependant, un monsieur qui vient de lire le communiqué s’écrie : « Quel cataclysme ! » C’est à croire qu’ils sont produits sur commande par des manufactures. Et que de cierges allumés à l’église. Dans la nef, j’ai croisé Mme D. : en grand deuil de son fils cadet ; tremblant pour l’aîné, en ce moment au service. Elle semble personnifier la douleur maternelle.

La nef de la collégiale Saint-Martin en 1900. Archives municipales de Brive, 37 Fi 228.

La nef de la collégiale Saint-Martin en 1900.
Archives municipales de Brive, 37 Fi 228.

 


Mercredi 5 août 1914

Des jeunes gens réformés, des gens âgés demandent à s’engager. « Nous voulons venger nos pères » disent ces derniers. Notre compatriote l’ex- , qui a 73 ans, part avec ses trois fils et ses deux gendres. Fille et petite-fille de soldats, je souffre de mon inaction ; mais pour moi le devoir est ici, près de ma mère malade, inguérissable hélas !

Généralissime

Général à qui est confiée la responsabilité du commandement de l’ensemble des armées d’un État, voire de celles d’une coalition.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2015.

Joseph Brugère (1841-1918)

Le Petit Journal, supplément illustré, 23 juillet 1899. Archives municipales de Brive, 12 S 81.

Le Petit Journal, supplément illustré, 23 juillet 1899.
Archives municipales de Brive, 12 S 81.

Né à Uzerche (Corrèze), ce général demande, dès le début du conflit, à être intégré au service actif. En 1915, on lui confie le commandement de quatre divisions de régiments d’infanterie territoriaux qui montent au front entre Amiens et Béthune, puis il accomplit plusieurs missions militaires avant de décéder, le 31 août 1918, d’une rupture d’anévrisme.


Jeudi 6 août 1914

Les Allemands attaquent les Belges qui refusent de se faire leurs complices de leur scélératesse, commettent des atrocités en Alsace, fusillent les membres du Souvenir français, des prêtres, des maires, des étudiants.
Nos souvenirs, leur barbarie va décupler notre courage.

Les atrocités allemandes

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 896.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 896.

En savoir plus


Vendredi 7 août 1914

Les Belges se défendent héroïquement à Liège. « Ah ! les braves gens. » , l’homme de Saverne, qui traitait les Alsaciens de voyous et qui crachait sur le drapeau français, est prisonnier.

Les soldats rassemblés ici sont charmants et touchants de bonne humeur. Quelques loustics émérites, tels que  le comique parisien, chassent [illisible] la mélancolie [illisible] et les amusent.

G., affligé mais résolu, passe précipitamment me dire adieu ; à 9 heures ce soir il sera parti.

Demain matin, le 126e part. Mais nous ne savons pour où ni à quelle heure car tout se fait dans le plus grand secret.
Les jeunes filles ont décoré le train de fleurs.
Ce matin à tantôt, j’ai croisé un groupe de sergents auxquels j’avais fait remettre par leurs mères de jolies médailles en argent qu’on m’avait données en diverses circonstances.
En recevant leur salut reconnaissant, j’ai pensé : « Ceux qui vont mourir te saluent. »

 Félix Mayol

Phonoscène d’Alice Guy – 1905 – N & B – Félix Mayol chante La polka des trottins (A. Trébitsch/ H. Christiné) – Gaumont.

 

Une autre chanson de Félix Mayol : Les Alliances de Guillaume (1910)

Cherchant pour l’Allemagne
Des alliances partout,
Guillaum’ dit à l’Espagne :
« Soyez donc avec nous ! »
Ou ! ou ! ou ! ou ! c’est un sal’ coup
Mais l’Espagn’ très gentille
Lui dit dans l’embarras
« J’ viens de rec’voir Émile…
Pour l’instant je n’ peux pas ! »
Ah ! Ah ! Ah ! Ah !

***

Le 126e régiment d’infanterie

Le 8 août, un important convoi ferroviaire amène les soldats du 126e RI vers le front. Sans le savoir, un grand nombre d’entre eux ne reviendra pas.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.Le premier bataillon quitte la ville à 4 heures du matin, le deuxième à 16 heures, le troisième à 23 heures.

L’effectif du régiment est composé de 53 officiers,
3 348 hommes de troupe et 174 chevaux.

Günter von Forstner (1893-1915)

En 1913, sous-lieutenant de l’armée allemande, alors en garnison au 99e régiment prussien d’infanterie à Saverne (Bas-Rhin), le baron Günter von Forstner tient des propos injurieux sur les soldats alsaciens qu’il traite de Wackes (terme allemand désignant les voyous et par extension les Alsaciens-Mosellans). C’est le point de départ de l’affaire de Saverne.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.

Félix Mayol (1872-1941)

Chanteur français de music-hall, devenu célèbre en 1902 avec la chanson Viens poupoule. Originaire de Toulon, il finance la construction du stade qui porte encore son nom.

Affiche, 1915. Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Estampes et Photographies, ENT DN-1 (BARRERE, Adrien/2)-GRAND ROUL.

Affiche, 1915.
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Estampes et Photographies, ENT DN-1 (BARRERE, Adrien/2)-GRAND ROUL.


Samedi 8 août 1914

La mort frappe déjà à notre porte : le fils de nos voisins de palier, qui rejoignait son vaisseau à , a été tué en route dans un accident de chemin de fer. Il était enterré quand sa famille a appris sa mort. Sur qui faudra-t-il s’affliger ensuite ?

Les premiers morts et blessés de la guerre sont d’abord ceux liés à des accidents de transports. Ainsi, à Brive, le premier blessé est un dragon qui tombe du chemin de fer au viaduc de… Planchetorte.

La Croix de la Corrèze, 9 août 1914. Archives municipales de Brive, 8 S 980.

La Croix de la Corrèze, 9 août 1914.
Archives municipales de Brive, 8 S 980.

Rochefort-sur-Mer

Commune de Charente-Maritime, elle est réputée pour son arsenal créé en 1666 par Louis XIV.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.


Dimanche 9 août 1914

La joie que nous donnent les nouvelles officielles efface les impressions tristes : échec des Allemands à Liège, entrée triomphale des Français à Mulhouse. Nous nous réjouissons à la fois pour les Alsaciens, les Belges et nous !
« C’est bien « appuyé, cré bon sang ! » dit en lisant les communiqués Dumault, épanoui, ravi. Une impression excellente de ces nouvelles. Ça n’est que ça les Allemands ? Et son ardeur augmente.
J’ai distribué à des  cantonnés dans mon quartier un panier de pêches magnifiques qu’on m’a porté de la campagne. Mme F. alors leur a donné du vin pour tremper les pêches, et Mme S. des biscuits pour que les pêches ne trempent pas seules… Les hussards protestaient que c’était trop et ne finissaient pas de nous remercier.

 

La Croix de la Corrèze, 9 août 1914. Archives municipales de Brive, 8 S 980.

La Croix de la Corrèze, 9 août 1914.
Archives municipales de Brive, 8 S 980.

Hussard

15e hussard, 2e lieutenant (Agence Rol). Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Estampes et Photographies, EST EI-13 (391).

15e hussard, 2e lieutenant (Agence Rol).
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Estampes et Photographies, EST EI-13 (391).

Soldat de la cavalerie légère.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.


Lundi 10 août 1914

Ma femme de ménage, qui ne sait d’ailleurs ni lire ni écrire, estime qu’il vaudrait mieux devenir Allemands que se faire égorger. Je lui fais honte de sa faiblesse. Une autre m’avait tenue le même propos. Le patriotisme ne croît pas sans culture.
Ce soir, départ de ; tumulte croissant. Trop de bouteilles vidées. Quel que soit l’événement, privé ou public, religieux ou militaire, heureux ou malheureux, la populace y mêle la saoulerie. Amendons-le, élevons-le, il a un fond excellent ce pauvre peuple et ne ménage pas sa peine et sa peau comme certains bourgeois.

Réserve militaire

Ensemble des citoyens qui, ayant effectué leur service militaire, ne sont pas appelés à combattre immédiatement lors d’un conflit.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.


Mardi 11 août 1914

Je sais que les déments et les imbéciles ne manquent pas : c’est pourquoi je ne m’enflammerai. Par contre, J. M., qui s’efforce par tous les moyens de se faire réformer, préfère mourir qu’aller à la guerre, dit-il. Ce raisonnement idiot : « Plutôt mourir que de perdre la vie » a poussé un autre mobilisé à se faire volontairement écraser par un train.
Quand un garçon manque de patriotisme, de courage, c’est sa famille, surtout sa mère que j’en rends responsables. De quelle débilitante affection les mères entourent souvent leurs fils !
Combien peu savent aimer comme et la mère de !

Blanche de Castille (1188-1252)

En 1226, à la mort de son époux, le roi Louis VIII, elle assure la régence avant que son fils Louis IX, plus connu sous le nom de saint Louis, n’accède véritablement au pouvoir.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.

Paul Déroulède (1846-1914)

G_37fi825_deroulede

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 825.

Fondateur de la Ligue des patriotes en 1882, Déroulède est l’incarnation de l’esprit de revanche de la France sur l’Allemagne.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.


Mercredi 12 août 1914

9 heures du soir. Atmosphère embrasée, orageuse au-dessus d’une noire citadelle de nuages : éclate de temps à autre la lueur d’un éclair lointain pareille à celle d’une bombe.
Le malaise que je ressens, je le suppose accru chez nos défenseurs, lourdement vêtus, combattant, altérés sous l’embrasement du soleil et des canons. Puis, je les vois au milieu de l’orage, dans l’eau, dans la boue… Les prisonniers allemands s’étonnent d’être bien traités chez nous. Mais les nôtres, chez des brutes… Que ne souffriront-ils pas !… Oh ! Mon Dieu ! Je n’ose me le représenter. Nous attendions des Français blessés : on nous envoie des Allemands. Quel effort de vertu il faudra pour les bien traiter ! Cela me semble au-dessus de mes forces… Prions.

La Marche en avant, dessin d’Albert Copieux. Collection Michèle Chérica.

La Marche en avant, dessin d’Albert Copieux.
Collection Michèle Chérica.


Vendredi 14 août 1914

En regardant ses deux bébés blonds qui jouaient à nos pieds, le lieutenant P. m’a dit : « Cette guerre, il fallait la faire ; il vaut mieux que ce soit nous que nos enfants qui la fassions. »
Nos paysans limousins qui s’expriment eux avec une foi tranquille et une verve originale :
« Lou cor a Dieu, la ma a l’obra » (Le cœur à Dieu, la main à l’œuvre).
Pus de divisas, lou rin ! Plus de bornes, le ruisseau (le Rhin).


Dimanche 16 août 1914

Nouvelles de la guerre, anxieusement attendues, réconfortantes ; mais des nouvelles de l’un ou de l’autre en particulier nous n’en recevons point.

Huit déclarations de guerre en quelques jours et d’autres peuvent se produire. L’ambition de l’Allemagne, le  sont les vraies causes de ce gigantesque conflit qui met aux prises 20 millions d’hommes.
Des gens disent naïvement : « Ce sera la dernière guerre ! » On a beau les opérer de leur cataracte, leur montrer l’Europe entière devenue champ de bataille. La démonstration ipso facto ne les convainc pas.
Advienne que pourra : lorsqu’on a souffert aussi constamment que moi, on se soucie peu de la vie.

Pangermanisme

Mouvement tendant à regrouper dans un même État tous les peuples d’origine germanique.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.


Lundi 17 août 1914

J’ai assisté au repas en plein air des nouveaux mobilisés : le  fait dans trois grandes chaudières était savoureux ; assis à l’ombre sur un talus, leurs gamelles ou leurs assiettes débordantes, les hommes, non encore équipés, mangeaient de bon appétit ; certains partageaient avec leurs femmes et leurs petits ; de pauvres vieilles attendaient aux alentours l’aumône d’un peu de pain et leur tablier se remplissait de gros quignons ; mais le pain de munition est presque toujours brûlé.
Les hommes couchent au théâtre sur la paille. Les prisonniers allemands sont mieux traités : on leur a procuré des lits. Les gens surpris de notre mansuétude et de la cordialité qui règne entre les officiers français et leurs soldats. Les Allemands d’Allemagne, trompés par leurs chefs, croient pourtant que nous maltraitons les leurs. Le libraire héberge un Deutsch de 13 ans, il devait envoyer là-bas son fils en échange ; la déclaration de guerre l’en a empêché. La mère du petit Allemand supplie le libraire de ne point laisser fusiller son fils ! Quelle singulière idée ces Teutons se font de nous d’après eux-mêmes ! Une Allemande s’est écriée :
« Les Français seront vaincus !
– Pourquoi ?
– J’ai vu un officier serrer la main à un soldat. »

Écoles, édifices publics, tout est plein de soldats.

Rata

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 827.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 827.

À l’origine, terme du vocabulaire militaire signifiant un mauvais ragoût servi à la troupe.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.


Mardi 18 août 1914

La population est jusqu’à présent d’une sagesse admirable ; la gêne, l’absence peut-être définitive des êtres chers, des soutiens de famille. C’est le chômage, nul ne se révolte. On réquisitionne chez les paysans denrées, bestiaux, bêtes de trait, qu’on ne payera qu’après la guerre ; on met l’embargo sur le bétail en foire ; les braves campagnards se soumettent à tout.
Pourtant, une Bordelaise du peuple m’a paru très excitée. Les ouvriers n’ont à Bordeaux ni travail, ni pain. Si cela dure, a-t-elle dit, il y aura une révolution.
Dans cette ville, en effet, même à la table des riches le pain a manqué, un ou deux jours, non faute de grains, mais faute de bras pour le moudre. Les pêches, les poires s’y payent 3 sous pièces ; ici, pays de production, la récolte étant merveilleuse et l’exportation impossible, nous achetons les plus belles pêches 3 sous la douzaine ; on ne ramasse même plus les fruits qui tombent des arbres surchargés ! La viande, les œufs ont baissé de moitié, tandis qu’ils augmentent ailleurs. Les denrées sont près de retrouver le prix qu’elles avaient avant l’établissement du chemin de fer.
Les Allemands ne relatent que nos succès ; démoralisés par leurs mécomptes et par l’élan des Belges et des Français, reculent petit à petit ; mais en se retirant, ils incendient et massacrent. Que de martyrs, hommes, femmes, petits enfants même ! Ce n’est plus la guerre, c’est un carnage de tigres. Quand donc l’Alsace et la Belgique seront-elles délivrées ?

Les réquisitions de denrées

Alimenter les soldats sur le front induit également des réquisitions de denrées agricoles. Selon une délibération du conseil municipal de Brive en date du 3 juillet 1915, la cité a dû fournir 2 071 bovins, 2 009 moutons, 1 653 porcs et prêt de 8 000 quintaux métriques de céréales, le tout étant estimé à la somme de 8 000 F.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.

 ***

L’alimentation

La mobilisation ne manque pas de perturber la production agricole. Les hommes n’étant plus là, les femmes doivent travailler la terre et sont également contraintes à pétrir puis à faire cuire le pain.
Celui-ci reste une denrée essentielle. Aussi fait-il l’objet d’une attention toute particulière de la part des pouvoirs publics, au même titre, d’ailleurs, que le lait. Afin d’éviter une trop grande pénurie et le développement du marché noir, son prix est encadré : à partir du 4 septembre 1914, il est fixé entre 0,38 F et 0,40 F le kg par la municipalité de Brive. En 1916, le pain dit « national » est créé. C’est un mélange de différents blés qui met un terme à la domination du pain « blanc » de froment. En 1917, par delà les restrictions, la farine et le pain seront rationnés et apparaîtront des cartes de ravitaillement.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.


Mercredi 19 août 1914

Dès que je quitte le travail intellectuel pour le labeur matériel, trois cauchemars me hantent : la guerre, la santé de ma mère, les importunités d’un qui n’arrive pas, quoiqu’il soit robuste et bien portant, à se tirer d’affaire.
Si je ne succombe pas sous mon fardeau, c’est que j’aurai une charpente d’acier comme certaines constructions modernes d’apparences frêles.

Parâtre

Le terme désigne un beau-père. En fait, ici, son sens est celui de mauvais père.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.


Jeudi 20 août 1914

M. le baron : « La Prusse était prête et nous ne l’étions pas… J’ai vu ces héros qui, placés dans des conditions d’infériorité incroyable, se sont fait tuer sur place en disant « La France nous vengera ! »
Dernières séances du corps législatif en 1870. Au mot Prusse, substituons Allemagne ; ce qui était exact en 1870 est toujours vrai en 1914.

Jérôme David (1823-1882)

G_BNF_Jerome David

Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Estampes et Photographies, 4-NA-230.

En 1857, il démissionne de l’armée et entre en politique. Entre 1859 et 1881, il est député de la Gironde.


Samedi 22 août 1914

Une foule de , de attendent depuis quinze jours qu’on les habille et qu’on les arme ; l’ennui, le désœuvrement les rongent ; on ne les exerce ni à la marche ni au tir : « Qu’on nous utilise ; qu’on nous envoie faner, moissonner ; mais pour Dieu, qu’on ne nous laisse pas dans cette inaction déprimante » disent-ils tous, même les messieurs qui n’ont pas l’habitude des gros travaux.
Les nouvelles sont moins bonnes. Pourquoi tous ces hommes restent-ils là désœuvrés, désolés ? Les uniformes manquent-ils, ou bien les armes ?

Territoriale

Fraction de l’armée composée d’hommes âgés de 34 à 49 ans. Plus assez jeunes pour intégrer un régiment de première ligne ou de réserve, les « territoriaux » sont affectés dans des régiments spécifiques et en principe chargés de travaux à l’arrière. Ils étaient surnommés les « pépères ».

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.

Réserve militaire

Ensemble des citoyens qui, ayant effectué leur service militaire, ne sont pas appelés à combattre immédiatement lors d’un conflit.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.


Dimanche 23 août 1914

Les Allemands mettent des femmes toutes nues : les créatures fardées en toilettes extravagantes, parfois indécentes, qu’on voit trottiner, forcées par leurs hauts talons et leurs étroites jupes à marcher comme des chinoises aux petits pieds, mériteraient bien ce traitement. Elles sont odieuses et resteraient grotesques même dans la plus tragique situation, dans la fuite, dans la mort. Avec un accoutrement pareil, peut-on rendre le moindre service aux autres, voire à soi-même ? La fleur au corsage me semble aussi déplacée. Les fleurs de France, on ne doit les mettre en ce moment qu’aux pieds des autels et au chevet des blessés.

C’est le recul après la pénible conquête, la reprise de Mulhouse par l’envahissement de l’héroïque Belgique.
Les Allemands rentrent à Mulhouse.
La Belgique est envahie malgré une lutte héroïque.
Quel flux et quel reflux d’espoir et de déceptions, les journaux nous apportent chaque jour ; quelle mêlée de souffrance, de colère et d’admiration, ils soulèvent ; et nous, en nos âmes, sentons bien qu’on nous cache les faits les plus alarmants ! Et nous sentons bien aussi que le mieux est encore de faire crédit à ceux dont nous commençons à douter. Pour ne pas agiter la foule capable de tous les errements, nous devons affecter la confiance envers ceux dont nous commençons à douter.
Nul ne sais où sont nos soldats ; ils n’ont pas le droit de nous en informer ; soit ; mais les courts billets où ils donnent de leurs nouvelles n’arrivent souvent pas et de leur côté, ils ne reçoivent aucunes des lettres qu’on leur envoie.

Là-bas, vers Charleroi, c’est un monstrueux carnage où l’acier, le feu, les moyens de destruction les plus variés, les plus perfectionnés, la rage inhumaine et le courage surhumain collaborent à l’envie… Des cités belges et de leurs habitants, l’infirmité, la mort… C’est l’amoncellement des ruines, les cités incendiées croulant sur les champs ravagés, le massacre et la fuite des habitants et finalement les charniers pestilentiels.
Un insuccès pour nous ; c’est l’insuccès, par suite la menace de maux effroyables pour les temps qui vont suivre.

Dans un vieux petit livre, qui me tombe sous la main, se trouvent des histoires édifiantes qui prennent en ce moment un sens ironique.

Carte postale. Collection Jean-Louis Ladeuil.

Carte postale. Collection Jean-Louis Ladeuil.

 

***

Le contrôle postal

Les premières instructions sur le contrôle postal datent de juillet 1915, même si dès 1914, les soldats savent qu’ils ont une obligation de réserve, renforcée par le souci de rassurer les destinataires.
Les instructions générales du 1er décembre 1916 en exposent les missions et organisent en détail les commissions chargées de passer en revue des dizaines de milliers de lettres chaque semaine. Institué au départ pour lutter contre l’espionnage, parer aux indiscrétions et renseigner le commandement sur l’état moral des soldats, de la population et la situation matérielle des troupes, il jouera ensuite le rôle d’un organe de censure.


Lundi 24 août 1914

Mmes G. m’ont conté leur retour de , le 1er août. C’est par cinq coups de canon que la mobilisation fut annoncée là-bas. Il y eut une ruée vers la gare ; certains oublièrent ou perdirent leur portefeuille, leurs bijoux… Des ponts, des voies étant déjà coupés, il fallut rentrer par Belfort dans un fourgon. Tous les buffets étaient fermés et pendant le voyage, qui dura trois jours, ces dames ne mangèrent que deux petits pains payés très chers et souffrirent de la soif. Leurs malles contenant leurs fourrures et des objets précieux sont égarés. L’exaltation habituelle de Mme G. a dû confiner à la folie pendant ce trajet.

Plombières-les-Bains

Commune des Vosges (Lorraine).

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.