Je voudrais dire avec art, adroitement, à chaque peuple ce que j’éprouve à son égard. Essayons : « La paix est conclue, des fêtes la célèbrent. Je suis une femme à la mode très courtisée, non pas une parfaite beauté grecque ou romaine, ni une blonde et pâle sirène du Nord, ni une éclatante méridionale, mais une fine spirituelle ensorcelante Parisienne. Reine d’un bal cosmopolite, je conduis le cotillon ; une foule de soupirants, de prétendants de tous pays viennent s’agenouiller à mes pieds sur un coussin pour que je fasse un choix parmi eux.
Du Boche et du Turc, je me détourne avec horreur ; l’Autrichien, je le repousse vivement, ce qui ne le surprend pas, il est habitué à de tels succès ; quand le Bulgare s’avance, je me détourne pour sourire de loin au Russe.
Au Hollandais, je murmure : « Que faisiez-vous au temps chaud ? Vous vendiez du coco, du curaçao au gourmand Allemand. Dansez tout seul maintenant. »
Au Suisse, je dis avec regret : « Quel excellent homme vous êtes ; et quel dommage que vous me disiez « Je vous aime » avec l’accent tudesque ! »
Au Yankee : « Vous vous plaisez à rester spectateur et fournisseur. Je vous inviterai à ma noce et je vous ferai une belle commande. Et vous êtes si généreux, cher M. Sam, que vous m’enverrez un magnifique cadeau. »
Au Russe : « J’ai bien des raisons de t’aimer mais je t’aime d’instinct et je serais capable de monter en croupe avec toi pour courir les steppes si… si je n’apercevais dans un coin, un soldat français, un glorieux et modeste mutilé vers qui vole mon cœur débordant d’amour. »
À l’Anglais qui arrive en retard : « Dear ally, vous m’avez fait de délicieuses surprises au cours de la guerre, et révélé des qualités que je ne vous connaissez pas mais allons faire un tour au buffet. Tandis que je viderai à petits coups une coupe de Champagne, vous engloutirez thé, toasts, cakes, sandwiches, et cock-tails (sic) ; et nous nous dirons au revoir en échangeant un cordial handshake… Mais, vraiment, après tout ce que nous avons fait pour rester Français, j’aurai peur à présent de trop m’angliciser. »
À l’Italien : « Mon frère prodigue, mon Benjamin de frère ; quelle joie de t’avoir retrouvé. Mais contentes-toi, pourtant, de mon amour fraternel. »
À l’Espagnol : « Fi, c’est vilain d’être jaloux de ceux qui vous affectionnent ! »
Au Serbe : « Brave entre les braves, je baise ton épée, qui vaut la Durandal du glorieux vaincu Roland. »
Le Polonais et l’Arménien sont absents ; il n’est point de fête pour eux ; ils auront de moi une pensée tendre et pieuse.
Au Belge : « C’est à moi, d’être à genoux devant toi, ami sûr, sûr ami ; veux-tu que je sois ta sœur de charité ? d’un peu de mon de sang pour remplacer celui que tu as versé pour nous ? Aimons-nous maintenant et toujours comme on s’aime au ciel. »
Au Grec : « Comment toi, si beau dans ton enfance et ta prime jeunesse, es-tu à ce point méconnaissable ? Avec ce regard et ce front fuyant, ce sourire faux, cet air couard, tu ne peux plus être un héros, même de roman… Mais ne serais-tu pas un Boche affublé d’un faux nez grec ? » »