Lundi 3 mai 1915

Orage. Bacchanal d’ivrognes. La foudre tombe en face sur le transformateur. Un instant, je me crois devenue aveugle et j’entends toujours dans la rue, où il pleut à faix, des chants avinés.

Robe de laine pesée.

N., du Muséum, mobilisé à Brive, vient me lire un travail sur . Je l’écoute languissamment, car il s’agit d’un membre de ma famille et je connais fort bien tout ce qu’on me dit. Mais, tout à coup, je sursaute comme si quelque projectile venait d’éclater à mon oreille : « On peut rattacher à la famille Cabanis un illustre savant allemand de ce nom. » Un Boche dans ma famille ! Je deviens rouge.
« Quelle honte ! Mais ce n’est pas vrai… N., si vous continuez à soutenir cela, je vous pourfends avec le sabre de mon grand-père !
– Attendez ! quelle vivacité…
– Ou je vous brûle la cervelle avec le pistolet à pierre de mon aïeul…
– Mon Dieu, c’est un Cabanis du Midi, un protestant émigré sous Louis XIV, ce n’est pas un de vos ascendants.
– C’est bien le moment d’aller chercher les liens de parenté qui peuvent exister entre des Allemands et des Français ! Avez-vous l’intention de nous déshonorer ? »

 

 

Cabanis, Pierre Jean Georges (1757-1808)

Né à Cosnac, à côté de Brive, Cabanis est médecin et philosophe. Professeur d’hygiène et de clinique à l’École de médecine de Paris, il est membre du Conseil des Cinq-Cents puis sénateur. Élu à l’Académie française, il repose au Panthéon. Son nom a été donné à un ensemble scolaire de Brive : collège, lycée professionnel, lycée général et technologique.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2015.


Mardi 4 mai 1915

 

Ils ne sont pas fiers les Yankees, les Hollandais, les Grecs et les Suédois : les Boches torpillent leurs vaisseaux, noient leurs nationaux et ils se con[ten]tent de provoquer… des explications. Un coup d’éventail donné à un Français se paye plus cher.

 


Mercredi 5 mai 1915

 

De passage ici, le colonel Reynès, nommé chef d’état-major en Algérie, n’a garde de négliger une visite à ses « nièces » et « cousines » d’élection. Il apporte de Paris des nouvelles réconfortantes, vexantes, troublantes, épatantes : l’Italie et la Roumanie vont marcher ;  a fait des canons pour la première ; et l’on va former pour ces deux régions des corps expéditionnaires ; nous ne manquons pas autant d’hommes que les Boches le prétendent ; d’ailleurs, la ville et les environs regorgent toujours de soldats. Si les Italiens reculèrent au début, il ne faudrait pas s’inquiéter : les Piémontais, les Milanais sont des bons soldats, mais les habitants du sud sont mous (est-ce bien sûr ?) et l’animosité des Austro-allemands contre leurs anciens alliés fera tomber de ce côté le plus grand poids de la lutte ; mais ainsi, les Russes parviendront plus vite à Vienne, la guerre sera fini dans quelques mois (3 ou 30, colonel ?) Quant aux Anglais, ils ne sont en ce moment encore que 150 000 ( ?) et ne défendent qu’un front de 50 km sur 500 ; ce sont les ouvriers de la sixième heure. – Yes, colonel. S’ils continuent d’en prendre à leur aise au bout de dix mois de guerre, je crains qu’il leur arrive malheur. Sans la flotte britannique, les Boches auraient peut-être débarqué sur les côtes françaises mais sans nos soldats, la côte anglaise serait déjà bombardée par les canons Krupp du haut des falaises calaisienes.
À la guerre, un sang froid d’animal aquatique, c’est très joli, mais insuffisant. Si nos alliés n’ajoutent pas à leur flotte une solide armée de terre, ils seront à la merci d’un coup de main audacieux…
Nouvelles moins sûres apportées par un ingénieur, cousin d’un diplomate, etc., etc. : Le Creusot fait des canons qui portent à 45 km ( ?) et bientôt se produira un événement qui stupéfiera toute la France (??). Oh ! Dites-nous quoi, cher ami. Voyons, soyez gentil, c’est mal de nous intriguer si fort : s’agit-il d’une poudre d’escampette à l’usage des Boches ? Les États-Unis vont-ils après deux siècles nous rendre notre politesse en nous envoyant un Washington et quelques miliciens ? Ou bien, au contraire, les boches mettront-ils le feu à la Tamise ? Vous ne voulez rien dire de plus ? Homme sans cœur !

Naufrage ( ?) de la Lusitania.
Les États-Unis, qui n’ont pas même protesté contre la violation de la neutralité belge garantie par eux, sont punis de leur pusillanimité par les traitements injurieux, les attaques monstrueuses des Allemands envers leurs nationaux.
92 millions d’individus qui se laissent frapper, bafouer ainsi, ce n’est pas un peuple, c’est une foule, une cohue que n’importe quel voisin audacieux réduira facilement à merci… Leur président, qui s’efforce de prouver que les gifles et les  leur sont administrés par mégarde, fait l’effet d’une tête de Turc. Nous qui combattons hardiment au plus fort de la mêlée, nous ne pouvons nous empêcher de trouver cette attitude piteuse.


 

 

« L’Italie et la Roumanie vont marcher… »

Bien que membre de la Triplice, l’Italie décide de ne pas participer au conflit en août 1914. Cependant, le 23 mai 1915, elle rompt sa neutralité et déclare la guerre à l’Autriche-Hongrie, se rangeant ainsi dans le camp de la Triple Entente. La Roumanie est entrée elle aussi tardivement en guerre : seulement le 27 août 1916 et au sein de la Triple Entente.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2015. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Naufrage du Lusitania

lusitania-on-fireLe 7 mai 1915, le Lusitania, un paquebot britannique transportant 1 959 passagers, est coulé par un sous-marin allemand U-20, près des côtes irlandaises. Parmi les 1 198 victimes, 128 citoyens américains. Cela contribuera à l’entrée en guerre des Etats-Unis.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.

Le Creusot

Le Creusot est une commune française du département de Saône-et-Loire, siège de l’entreprise Schneider spécialisée dans la fabrication d’acier. Pendant la guerre, c’est là, dans des ateliers qui s’étendent sur près de 6 ha, que sont fabriqués des canons de gros calibre : 140 mm, 155 mm…

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2015.

Torpillage

 

Action de détruire un navire en ayant recours à une torpille, c’est-à-dire un engin automoteur sous-marin chargé d’explosif.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 201

 


Jeudi 13 mai 1915

 

9 heures du soir.
Je soignais ma mère plus que malade.
Dans la rue, on crie : au feu ! Je cours à la fenêtre du salon. En face, derrière un toit, s’élève comme d’un cratère un panache de fumée et un cône de flammes et d’étincelles : ce sont les magasins et les entrepôts de la mercerie Simbille qui brûlent. Des bombes éclatent, des pièces d’artifice embrasées, des paquets d’allumettes s’élèvent en l’air, volètent et s’éparpillent. Les étincelles jaillissent indéfiniment comme les gouttes d’eau lancées par une pompe et dansent comme des poussières dans un rayon de soleil ; puis, il y se forme plusieurs cratères, les poutres croulent avec un bruit sourds, les ardoises avec un bruit d’averse crépitante. Les pompiers, peu nombreux, très âgés ou novices n’arrivent pas à organiser les secours, perdent la tête mais enfoncent toutes les portes, même celles qui ne sont pas fermées à clef, jettent les marchandises dans la rue et les arrosent au hasard. Tout à coup, l’on s’avise que deux vieilles dames dorment au deuxième étage d’une maison atteinte. On dresse une échelle et on les descend à travers un sac démesuré où on les engouffre de force. Et le feu gagne à droite, à gauche, atteint les prisons ; les feux d’artifices explosent sans cesse ; des nuées de chauves-souris voltigent autour de ce gigantesque brasier et s’y laissent parfois choir. Tout en rassurant la malade inquiète, je songe aux villes tout entières incendiées par les belligérants…

Rumeurs de la foule.

Beaucoup de soldats demandent à aller au front « pour en finir ». Les volontaires belges du camp d’av[iation] se sont mutinés pour la même raison et ont menacé de déserter pour s’y rendre si on ne les y conduisait pas. On en a fait partir 250 et l’on a promis aux autres de les faire suivre.

 Incendie de Reims en avril 1918

Collecte 14-18. Plaques de verre 0066, fonds Françoise de Dalmas Archives de Brive 19NUM.

Collecte 14-18. Plaque de verre stéréoscopique 0066, fonds Françoise de Dalmas Archives de Brive 19NUM.

 

 

Incendie à Brive de la mercerie Beynié et Allemandou

 

La Croix de la Corrèze, 16 mai 1915. Archives municipales de Brive, 8 S 1020.

La Croix de la Corrèze, 16 mai 1915.
Archives municipales de Brive, 8 S 1020.

 

 


Mercredi 19 mai 1915

 

Récit d’un . Ses haut-le-cœur au début. Il ne peut manger mais l’appétit revient. Morts mal enterrés. On lui offre 200 F pour déterrer des morts ensevelis dans un jardin ; il en sort un puis renâcle. Deux morts, un Français et un Allemand qui se sont mutuellement transpercés à travers une haie sur laquelle ils restèrent appuyés…

Deux hommes portant un blessé sur le chemin des Dames

Collecte 14-18. Plaques de verre 0034, fonds Missonnier Marie-France, Archives de Brive 20Num.

Collecte 14-18. Plaque de verre stéréoscopique 0034, fonds Missonnier Marie-France, Archives de Brive 20Num.

Cadavres alignés après une attaque

Collecte 14-18. Plaques de verre 0020, fonds Missonnier Marie-France, Archives de Brive 20Num.

Collecte 14-18. Plaque de verre stéréoscopique 0020, fonds Missonnier Marie-France, Archives de Brive 20Num.

Brancardier-ensevelisseur

Soldat chargé de rechercher, puis d’évacuer les corps des combattants morts afin de leur donner une sépulture.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2015.


Jeudi 20 mai 1915

Manque de logique des Allemands.  et les enfants difformes (). Les peuples sauvages qui mangent les vieillards. Le siège d’Alesia. Bons conseils au sujet des estropiés. Ils tuent leurs blessés.

 

 Caricature de Guillaume II

Collecte 14-18. Carte postale 0017, fonds Ladeuil Jean-Louis, Archives de Brive 23 NUM.

Collecte 14-18. Carte postale 0017, fonds Ladeuil Jean-Louis, Archives de Brive 23 NUM.

Sparte

Dans cette cité grecque, selon Plutarque, les nouveau-nés jugés trop faibles ou imparfaits pour être utiles à l’État étaient destinés à la mort par exposition (abandon) sur le mont Taygète.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.

 

 

Guillaume II de Hohenzollern (1859-1941)

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 841.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 841.

Né à Berlin, Guillaume II est le dernier empereur (Kaiser) allemand et le dernier roi de Prusse.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.


Mardi 25 mai 1915

Vacances en l’honneur de la sœur latine. Joie mais personne ici ne pavoise. Un accord tacite veut qu’on n’arbore les oriflammes qu’à la délivrance du territoire.

Un M. Seghers vient d’être emprisonné par les Boches parce qu’il secourait ses malheureux compatriotes. Est-ce le père du pauvre Edgard Seghers, refugié quelque temps ici ?

J’ai trop dit aux gens ce qu’ils souhaitaient entendre, trop ménagé leur faiblesse, trop flatté leur désir de tranquillité. Au lieu de cela, j’aurais dû, je dois leur montrer la dure et haute réalité, la nécessité de lutter, jusqu’à l’anéantissement total s’il le faut.

 

 

 


Mercredi 26 mai 1915

 

Visite de deux petits amis : Jeannot, 3 ans, baby anglais de teint et de chair, bébé français d’allure et de physionomie ; et Nénette, volontaire et capricieux poupon de 18 mois. Ils viennent apprendre « La Marseillaise ». On rabâche l’hymne que les petits prononcent comiquement :
Allons enfants… de la… pati… e,
Le zour de foire… est aivé…

Puis, j’interviewe Nénette :
« Que fait ton papa, Nénette ?
– Papa boum ! à Boches ! » (Papa Nénette est ).
Pendant ce temps, Jeannot a découvert une photographie de militaire allongé dans son «  ».
« Le généal Ioffe qui fait dodo !
– C’est un Boche, Ioffe ?
– Non, bas Boche ! »
Ainsi notre  est si populaire, si célèbre que les Jeannot et les Nénette de France le connaissent ; et c’est justice. Ah ! Jeannot, ah ! Nénette, ne l’oubliez plus ce nom-là, et apprenez ceux de Castelnau, de Foch, de Gallieni et de Maunoury.

 

 Le général de Castelnau

 

Carte postale de M. Gautherie Gérard collecté dans le cadre de la Grande Collecte 14-18. Archives de Brive 41 Num 184

Carte postale de M. Gautherie Gérard collecté dans le cadre de la Grande Collecte 14-18. Archives de Brive 41 Num 184.

Artilleur

Militaire qui sert dans l’artillerie, arme désignant l’ensemble des bouches à feu, des munitions et des matériels chargés de leur transport.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.

Terrier

C’est l’un des noms donnés par les poilus aux « cagnas », abris sommaires où peuvent se tenir plusieurs soldats en cas de bombardements et/ou d’intempéries. Autres synonymes : abri, gourbi, guitoune.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2015.

Généralissime

Général à qui est confiée la responsabilité du commandement de l’ensemble des armées d’un État, voire de celles d’une coalition.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2015.


Jeudi 27 mai 1915

 

Encore un vaisseau américain, le Nebraskan, torpillé. C’est le troisième. Voyons si les Yankees voudront accepter plus longtemps le rôle de faces à claques. Et tous les jours des vapeurs, des chalutiers neutres, suédois, portugais, hollandais sont coulés sans avertissement. Les Boches se croient tout permis.
Le vapeur Gulflight, torpillé ; le vapeur Cushing, bombardé par des aviateurs.

Au front.
Un chef se présente à un régiment du 12e corps : « Au dépôt de Brive, on réclame trente volontaires pour instruire les recrues. » Les poilus se regardent : « Interrompre la passionnante partie commencée avec les Boches ? Ah ! mais non ! » Et deux « épilés » seuls se présentent ; les vingt-huit autres sont nommés d’office.
Ça chauffe vers Lens, on l’y expédie ; il sort des Éparges !
Le 12e et le 17e corps sont toujours en première ligne, marchent toujours ; aussi on les charge des assauts les plus terribles.


 

La passerelle permettant de traverser les Éparges (1917)

Collecte 14-18. Plaques de verre 0044, fonds Françoise de Dalmas, Archives de Brive 19NUM.

Collecte 14-18. Plaque de verre stéréoscopique 0044, fonds Françoise de Dalmas, Archives de Brive 19NUM.

La crête des Éparges et plaine de Woëvre

Collecte 14-18. Plaques de verre 0049, fonds Françoise de Dalmas, Archives de Brive 19NUM.

Collecte 14-18. Plaque de verre stéréoscopique 0049, fonds Françoise de Dalmas, Archives de Brive 19NUM.