Mercredi 2 juin 1915

 

 prisonnier.
Il planait aussi gracieusement qu’une hirondelle, s’élevait avec la hardiesse d’un aigle, bravait la tempête comme une mouette, franchissait comme un albatros les océans ; abattait tel un oiseau divin les rapaces qui lui barraient la route et menaçaient nos champs et nos villes mais en cage, il est plus que jamais semblable à l’oiseau. Nous l’admirions, nous le chérissons et nos regrets, notre reconnaissance volent vers lui. Oui, sa captivité complète sa destinée de merveilleux oiseau de France ; mais il n’est plus là dans notre ciel, dans notre horizon, veillant sur nous, chassant la troupe des immondes vautours ; puis, habitué aux grands coups d’ailes, comment supporte-t-il sa claustration ? Il ne voit plus l’azur qu’à travers des barreaux. Ce dégoût de la vie, puisé dans un foyer paternel détruit, et qui lui avait fait choisir l’aviation comme une chance d’abréger son existence, ne va-t-il pas l’envahir ?
Qu’est ce qui le soutiendra ? Le souvenir de ses exploits ou l’espoir de la libération ?

 

Roland Garros (1888-1918)

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 1949.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 1949.

Né à La Réunion, cet aviateur passe à la postérité pour avoir réussi la première traversée de la Méditerranée en 1913. Mobilisé durant la guerre, il meurt lors d’un combat aérien le 28 octobre 1918 à Vouziers, dans les Ardennes.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.


Samedi 5 juin 1915

En quelques semaines, ils ont repris Przemyśl aux Russes qui l’avaient assiégé six ou huit mois. Reprendront-ils toute la Galicie ? Ce recul des Russes va, je le crains, prolonger la guerre et refroidir les balkaniques prêts à marcher avec nous.
Enfin, que nos alliés avancent ou reculent, qu’on nous aide ou nous laisse nous débrouiller, nous n’avons qu’une chose à faire, lutter pour la France et pour la Belgique, dussions-nous périr tous.

Du sergent Flameng, lettre avec détails effroyables. Avec deux autres sergents et cinquante hommes, il a été soutenir à Notre-Dame-de-Lorette une campagne décimée et dépeint ainsi les lieux : « Un charnier dans un chaos ; des morceaux de ruines et des trous pleins de cadavres. L’état-major tient conseil dans le cimetière, au milieu des tombes renversées et éventrées, ayant des cercueils pour pupitres. Nous avons dormi sur les morts. Puis nous sommes allés nous battre. Je reste seul avec onze hommes. »
D’autre part, le major D., en tournée d’inspection, annonce que la guerre durera trois ans encore. Me tournant vers plusieurs de mes élèves, jeunes filles et enfants présents à l’entretien, je leur dis : « En ce cas, commençons notre apprentissage militaire ; il y a un tir sur la Guierle, allons nous y exercer ; les femmes continueront la guerre et les enfants l’achèveront. »

 

Caricatures représentant l’alliance entre les différents pays de la Triple Entente

Collecte 14-18. Carte postale 0023, fonds Ladeuil Jean-Louis Archives de Brive 23NUM

Collecte 14-18. Carte postale 0023, fonds Ladeuil Jean-Louis Archives de Brive 23NUM

Collecte 14-18. Carte postale 0023, fonds Ladeuil Jean-Louis Archives de Brive 23NUM

Collecte 14-18. Carte postale 0031, fonds Ladeuil Jean-Louis Archives de Brive 23NUM

Le cimetière bombardé

Collecte 14-18. Plaques de verre 0022, fonds Missonnier Marie France Archives de Brive 20NUM

Collecte 14-18. Plaque de verre stéréoscopique 0022, fonds Missonnier Marie France Archives de Brive 20NUM


Lundi 7 juin 1915

Les ouvriers de la  mobilisés furent envoyés au front dès la déclaration de guerre. Il en fut sans doute de même dans toutes les fabriques d’armes. On a confié la fabrication des armes et les munitions à des cultivateurs, des boutiquiers, des , qui n’y entendent rien et gâchent tout. Quelle funeste extravagance ! Comment, ainsi désorganisés, pouvons-nous seulement résister aux Allemands ? Quels dirigeants nous avons !

 

 

Manufacture d’armes de Tulle

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 1334.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 1334.

Créée à la fin du XVIIe siècle, elle fait partie des plus anciennes manufactures d’armes de France. Durant la première guerre mondiale, elle fabrique des fusils modèle 1886 dits « fusils Lebel » et répare les affûts du canon de 75. Pour répondre à l’effort de guerre, les effectifs sont augmentés – ils passent d’un peu plus de 800 employés au moment de la mobilisation à 4 683 en 1917 –, un nouveau dispositif horaire est mis en place afin que la production soit constante et plus de 40 000 m2 d’ateliers supplémentaires sont construits.

Embusqué

Militaire affecté, par faveur, à un poste éloigné de tout danger.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.


Mardi 8 juin 1915

On vend des cartes postales représentant par anticipation la prise des Dardanelles.

 

 


Mercredi 9 juin 1915

 

Arrivée de la veuve Pascal rapatriée de Pompey avec ses six enfants, dont une fillette de 1 mois qui arrive mourante. Ce que la pauvre femme raconte. Son mari, devenu fou, s’est jeté sous un train. Aura-t-elle une pension ? Dans toutes les régions envahies autour de Nancy, les petits garçons ont la main droite coupée ! Ces pauvres rapatriés dressent de temps à autre l’oreille, croyant entendre ronfler un  et exploser des bombes.
Bombe tombée dans un réservoir et pêche miraculeuse qui en résulte.

Les enfants mutilés

« Malgré les enquêtes entreprises par le gouvernement français, on ne trouva aucune trace d’enfants mutilés. Tout ici indique un cycle de récits fictifs… » HORNE (John), « Corps, lieux et nation : la France et l’invasion de 1914 », dans Annales. Histoire, Sciences sociales, 55e année, n° 1, 2000, p. 96.

Taube

Type d’avion allemand, surnommé « la colombe » (taube, en allemand) en raison de la forme de ses ailes, il est utilisé par les Empires centraux aux débuts de la Première Guerre mondiale.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 985.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 985.


Jeudi 10 juin 1915

 

Approche des foires franches. Dans la Guierle, à peine quatre ou cinq pauvres petites barraques. Le patron de l’une d’elles se promène autour de ses toiles déteintes en répétant obstinément : « Cochon ! Saligaud ! Vache ! » Le petit Dédé, qui m’escorte, demande à demi effrayé : « Qu’è qu’il a ? » Et son camarade Riri de répondre : « I pense à  ! »

Lettre de E. Seghers : les Allemands prennent aux Belges les vivres que leur envoient les Américains. Désirs de révoltes. Massacres qui pourraient en résulter.

Guillaume II de Hohenzollern (1859-1941)

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 841.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 841.

Né à Berlin, Guillaume II est le dernier empereur (Kaiser) allemand et le dernier roi de Prusse.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.


Dimanche 13 juin 1915

 

Tandis que je causais avec le Dr , M. de Cl. nous aborde. Nous nous informons de Mme de Cl.
« Elle va très bien, elle est à Tulle où elle suit les cours de la .
– Oh ! la Croix-Rouge, réplique spontanément le Docteur, cette guerre l’a tuée, elle n’y survivra pas ; ce qu’il nous faut, c’est des religieuses. »
Les tripotages, les petits scandales provoqués par nombre d’infirmières, leur insuffisance ont motivé ce jugement sévère. Beaucoup de majors ne veulent plus avoir affaire à aucune dame.

À , chez les parents de Juliette Estival, famille belge dont les petits garçons âgés de 3 et 5 ans ont les mains coupées. Maria Pascal, de son côté, confirme qu’en Meurthe-et-Moselle les petits garçons furent mutilés de même.

Quatre cartes postales racontent l’histoire de sœur Julie, 24 août 1914

carte postale00001carte postale0003carte postale0005carte postale0007Collecte 14-18. Cartes postales, fonds Ladeuil Jean-Louis 23NUM.

Maurice Léon Léonard Prioleau (1858-ap. 1920)

Né à Objat, il est docteur en médecine. Le 15 août 1914, il est affecté au service de la Croix-Rouge comme chirurgien en chef de l’hôpital auxiliaire n° 2 de Brive. Il est le père de Marguerite Priolo (épouse Gaillot), ancienne élève de Marguerite Genès et reine du Félibrige en 1913. En 1920, alors qu’il est président de l’orphelinat des chemins de fer français (section de Brive), il est nommé chevalier de la Légion d’honneur.

Croix-Rouge

La Croix-Rouge a été fondée par le Suisse Henri Dunant en 1864. Durant la Grande Guerre, la Croix-Rouge française est l’auxiliaire du service de santé des Armées. Elle est à l’origine de la création de près de 1 500 hôpitaux auxiliaires et a mis à disposition 68 000 infirmières diplômées.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2015.

Coussac-Bonneval

Commune du sud-ouest de la Haute-Vienne, limitrophe du département de la Corrèze.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2015.


Lundi 14 juin 1915

Notre ami M. de Combarel, réformé jadis pour surdité et devenu de plus en plus dur d’oreille, déclaré maintenant bon pour le service, vient d’être nommé… téléphoniste.

 


Mardi 15 juin 1915

 

Dans le salon de Mme P.
Deux vétérans de 1870, capitaines grisonnants mais encore solides, nous reprochent nos « coupables gâteries » pour les soldats au front et les prisonniers.
« Vous êtes trop sensibles toutes, vous les dorlotez, vous les énervez ! Ils font la  dans les tranchées avec ces colis innombrables que vous leur envoyez…
– Permettez, Monsieur, en fait de bombes, ils ont surtout celles des Boches !
– Et cet hiver, vous les accabliez de cache-nez, de bonnets de nuit. En 70, moi, je n’avais qu’une capote trouée, n’est-ce pas Peyre ?
– Et moi je n’en avais pas du tout, t’en souvient-il, Martin ?
– … Mais vous n’auriez peut-être pas été fâchés d’avoir des chaussettes, un gilet…
– Du tout, le froid, le chaud, la faim, tout cela aguerrit. Aujourd’hui, vous mettriez les soldats dans du coton, dans du duvet, si vous pouviez…
– En 70, tout manquait… Aujourd’hui, nos soldats bien pourvus se battent de meilleur cœur.
– On n’a pas besoin de ça pour faire son devoir…
– Mais les prisonniers qui demandent du pain, du linge, vous ne voudriez pas qu’on les laisse périr de besoin ?
– Bah ! je suis resté neuf mois en captivité. J’étais exactement nourri comme les prisonniers d’aujourd’hui, je n’ai jamais reçu un sou ni un colis et je suis bien revenu.
– Mais les prisonniers que nous avons adoptés, mes élèves et moi, sont [dans] des régions envahies et ne savent même pas si leur famille, leurs enfants sont en vie…
– Hum !… Oui… ceux-là sont un peu à plaindre… mais vous les gâtez ridiculement, j’en suis sûr ! Et puis ce sont les Boches que vous ravitaillez… »

 

Bombe (argot)

Fête, débauche, beuverie.


Vendredi 18 juin 1915

 

Nous allons prendre aux Boches leur casque. Est-ce tout ce que nous leur prendrons ?

 


Samedi 19 juin 1915

 

Les Russes battent les Autrichiens mais ils sont battus par les Allemands. Leur courage est d’ailleurs annihilé par le manque de munitions. Anglais, Français et Russes, nous pouvons méditer amèrement le fameux dialogue de Louvois et de l’officier de cour :
« Votre compagnie est en très mauvais état.
– Je ne le savais pas.
– Vous deviez le savoir. L’avez-vous vue ?
– Non, Monsieur.
– Vous devriez l’avoir vue.
– J’y donnerai ordre.
– Vous devriez l’avoir donné. On ne reste pas à la tête d’une compagnie, si l’on ne veut pas faire son devoir. »

 


Dimanche 20 juin 1915

 

La population de Malines s’est révoltée, les Boches exécrables ont recommencé les massacres, voilà 700 victimes de plus. On cherche les raisons de ce soulèvement. Une lettre d’E. Seghers me le faisait redouter : « Les jeunes recrues, arrivées à G. ces jours-ci, ont quitté la Belgique à la fin d’avril. Ils racontent que les Allemands prennent aux habitants les vivres qui leur sont distribués par l’Amérique et l’on ne serait pas étonné s’il y avait une révolution sous peu. » Hélas ! que peuvent ces infortunés sans armes, sinon procurer à leurs bourreaux la joie monstrueuse de continuer à les détruire ? O chère Belgique, quand seras-tu délivrée ! Dès qu’on parle de paix, c’est à toi que je pense : « La Belgique sera-t-elle évacuée, indemnisée ? Nous serions les derniers des lâches, si nous l’abandonnions. »
M. M. m’a dit :
« Les Allemands songeraient à traiter et nous rendraient volontairement l’Alsace-Lorraine.
– Au prix de quelle infâmie ?
– Ils veulent éviter de payer une indemnité de guerre et ne nous proposent aucune infâmie.
– Cela m’étonne. Mais si ces fourbes sont donc fourbus, alors continuons la lutte ! »

Une pièce de 1 F belge presque neuve à l’effigie d’er est passée des mains d’un réfugié dans les miennes. Pour extérioriser ma gratitude et mon admiration envers ce roi-chevalier sans peur et sans reproches, j’ai fait monter cette pièce en médaille et je la porte avec mon cachet de première communion.

L’Alsace-Lorraine

Collecte 14-18. Carte postale, fonds Ladeuil Jean-Louis 23NUM.

Collecte 14-18. Carte postale, fonds Ladeuil Jean-Louis 23NUM.

Albert Ier (1875-1934)

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 769.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 769.

Albert Ier, roi des Belges, est monté sur le trône le 23 décembre 1909. Lorsque les troupes allemandes envahissent son pays, État neutre, le 4 août 1914, il résiste à l’occupation, ce qui lui vaudra le surnom de « roi-chevalier ».

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2015.


Lundi 21 juin 1915

Les gouvernants Yankees m’apparaissent comme ces personnages de jeux de massacre qu’on voit dans nos fêtes foraines. C’est Thomas, et les gens de sa noce majestueusement assis dans leurs fauteuils. Un[e] balle les atteint, les déquille, mais ils se remettent à siéger avec la même dignité, le même sourire béat. Nouveau projectile, nouvelle culbute, et le pantin reprend son officielle gravité.  fait des remontrances à l’Allemagne : tandis qu’il attend assis dans son fauteuil la réponse, les sous-marins boches lui coulent deux ou trois vaisseaux ; il réitère doucement, amicalement ses réclamations, et reçoit en pleine figure la nouvelle que  a décoré les commandants des sous-marins de la plus haute distinction. « Attrape Thomas ! Tiens, voilà pour toi, voilà pour ton premier témoin ; ce coup-ci pour ton garçon d’honneur, celui-là pour ton beau-père ; encaisse Thomas ! » Le spectacle est douloureusement burlesque, mais je suis fâchée que les Yankees, qui m’étaient sympathiques, soient dans la posture de la .

On a condamné un Belge à 25 000 [F] d’amende parce qu’il recevait le . Nini, qui a entendu conter le fait et qui entre chez l’épicier avec sa maman, regarde le compartiment aux amandes et dit : « 25 000 F d’amandes !… 25 000 F d’amandes ! Pauvre homme ! Comment fera-t-il pour en donner tant ! »

 

 

Carte postale. Collection Jean-Louis Ladeuil.

Carte postale. Collection Jean-Louis Ladeuil.

Woodrow Wilson (1856-1924)

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 764.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 764.

Vingt-huitième président des États-Unis, il est élu pour deux mandats de 1913 à 1921.

Guillaume II de Hohenzollern (1859-1941)

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 841.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 841.

Né à Berlin, Guillaume II est le dernier empereur (Kaiser) allemand et le dernier roi de Prusse.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.

Noce à Thomas

Expression venant d’un divertissement forain, appelé aussi jeu de massacre ou chamboule-tout.

The Times

Fondé en 1785, à Londres, par John Walter, c’est un quotidien généraliste britannique alors considéré comme une référence dans la presse internationale.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2015.