Samedi 10 juillet 1915

 

Le fils du chapelier Fort et la permission.

Migoule, 8 heures sonnaient au clocher de Saint-Martin. Je cheminais entre les haies de verdure, couronnées de chèvrefeuille en fleurs. Si la nuit pénétrait partout, une brise imperceptible agitait légèrement les rameaux et berçait dans l’ombre les insectes qui s’y cachaient. Sous un petit pont habillé de lierre et de mousse, courait un ruisseau clair et joyeux, se hâtait escaladant les cailloux et algues. Je montais plus haut. Je m’engageais sous un tunnel de feuillage formé d’arbres centenaires qui rejoignaient en arceau leurs branches tordues par les ans. Une fraîcheur plus intense me saisit. Au sortir du bois, s’étendait une immense prairie pleine de petites taches claires formées par des fleurs que le vent balançait. Un chœur de grillons y viellait éperdument. Je levais les yeux. À travers les feuilles, j’aperçus la lune qui versait sur tout une lumière fraîche et cristalline comme de l’eau.
Dans le lointain, un chien de berger aboya à la fenêtre d’une ferme. Une lumière s’éteignit. Dans ce calme, il faisait délicieusement bon, il ne semblait plus qu’on vivait, on avait une impression de paix, de légèreté, comme en un rêve !
Se pouvait-il que, quelque part en France, ce silence paradisiaque fut troublé par l’éclatement de la mitraille ? Devant cette douceur du temps, du paysage, j’avais peine à m’imaginer que, « là-bas », des cris d’agonies retentissaient, que des être humains s’entretuaient, et la guerre, cette guerre surtout, m’étreignait, m’apparaissait plus monstrueuse, plus dénaturée que jamais.

 

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 715.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 715.

 

***

 

L'Illustration, 29 mai 1915. Archives municipales de Brive, 30 C 43.

L’Illustration, 29 mai 1915.
Archives municipales de Brive, 30 C 43.