Samedi 2 octobre 1915

 

À l’hôpital temporaire, vermine, crasse. Il faut panser des plaies que les blessés eux-mêmes n’osent pas regarder. Que c’est pénible, les cris de ceux qu’il faut soigner et sauver malgré eux ! Heureusement, les blessés en voie de guérison exhortent les autres : « Je criais comme toi, je ne voulais pas qu’on me touche. Je serais mort si l’on m’avait écouté. » Ces pauvres  eux-mêmes, avec leurs moignons de bras et de jambes, ont un aspect lamentable ; mais pas autant que les malheureux saignés à blanc, anémiés exsangues qui semblent des cadavres et ne parviennent pas à reprendre vie… ou les aveugles qui vont hésitants, tâtonnants et figés

 

L'Illustration, 20 février 1915. Archives municipales de Brive, 30 C 29.

L’Illustration, 20 février 1915.
Archives municipales de Brive, 30 C 29.

Récapé

Terme venant du patois picard signifiant rescapé.


Mercredi 6 octobre 1915

 

Chacun de nous, s’estimant sans doute meilleur Français qu’autrui, dit  à son frère. Deux propos entendus aujourd’hui témoignent bien de cet état d’esprit.
« C’est un Boche qui est à la tête de la France », assure un « populo ». Le Boche, c’est .
« Je déteste Maurice Barrès ; en voilà un de métèque ! », me déclare un moment après un lettré.
– En quoi est-il métèque, je vous prie ?
– Oh ! Léon Daudet vient de l’attraper, j’en suis ravi.
– Cela ne me dit pas en quoi il est métèque.
– Pourquoi l’appelle-t-on « l’éducateur de la jeunesse » ? Ceux qu’il a formés sont des exaltés, des illuminés…
– Il en faut, en ce moment, pour enflammer, entraîner les timides. L’homme a besoin de secours surhumains. , , Barrès sont des accumulateurs d’énergie, d’enthousiasme.
– Ce que Barrès dit des Allemands est faux. Hansi et Wetterlé les connaissent bien mieux…
– Ils nous instruisent et nous font sourire ; mais ce n’est pas un homme de tête ou un satirique qui nous enlèveraient pour l’assaut… Ne parlez donc pas de vos meilleurs compatriotes comme si vous étiez Boche… »

 

Raca

Terme injurieux signifiant « tête sans cervelle ».

Raymond Poincaré (1860-1934)

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 1939.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 1939.

Né à Bar-le-Duc (Meuse), Poincaré est le président de la République française durant la Première Guerre mondiale. Il est l’artisan de l’Union sacrée, expression invitant les Français à faire taire leur rancœur et à s’unir.

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Paul Déroulède (1846-1914)

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Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 825.

Fondateur de la Ligue des patriotes en 1882, Déroulède est l’incarnation de l’esprit de revanche de la France sur l’Allemagne.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.

Albert de Mun (1841-1914)

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 748.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 748.

Né en Seine-et-Marne, le comte de Mun, député monarchiste et membre de l’Académie française, est un fervent défenseur du catholicisme social.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.En savoir plus


Vendredi 15 octobre 1915

 

Notre diplomatie allait commettre une canaillerie : dépouiller les Serbes au profit des Bulgares. Quoiqu’il advienne, je me félicite que nous n’ayons pu perpétrer cette mauvaise action ; mais peut-être payerons[-nous] cher cette faute. Un tel dessein chez nos gouvernants m’est plus pénible qu’une défaite…

 


Samedi 16 octobre 1915

 

Une Boche trône sur l’Acropole et les Grecs à leur tour déclarent que les traités sont des « chiffons de papier ». J’ai honte et douleur de la dégradation de ce peuple qui combattit les Perses et n’ose résister aux Bulgares ! De cette race qui trahit ses bienfaiteurs, ses amis, ses alliés, son passé, sa culture, ses héritiers, ses fils, qui se trahit soi-même si indignement. « Grecs » ne voudra-t-il plus jamais dire que tricheur, escroc ? Rien ne restera-t-il donc debout de ce que j’aimais et admirais ? Tout tombera en ruines et ces ruines seront lépreuses, hideuses, nauséabondes ! comme celles de Sodome parmi les ruines embrasées, au milieu [des] clameurs de souffrance et d’horreur.
Dante, l’Europe offre une vision d’Enfer. Dans le feu, la fumée, les vapeurs empoisonnées et pestilentielles, s’agitent démons et damnés, Nérons et Judas, couvrant le sol de cadavres et l’abreuvant de sang…
Jamais je n’aurais supposé l’homme aussi féroce, aussi vil qu’il se montre en ce moment. Mon Dieu, si vous vouliez me détacher de tout, sauf de vous, le but est atteint.

Cru 1915.
Qui sera digne de boire, bourgogne, champagne de 1915 où le sang des vignes sera vraiment du sang humain ? « Ceci est le corps, ceci est le sang des braves. » Qui trempera sans frémir ses lèvres dans la coupe où vous scintillerez ? Des héros survivants seuls pourraient communier sous ces espèces. Mais puisque vous êtes des verseurs d’héroïsme, des philtres magiques, beaucoup auraient besoin de quelques gouttes de cette liqueur généreuse et sacrée.
N’est-ce pas à vous qu’il convient d’appliquer les strophes de l’Ode à la Coupe :

Coupo santo

E versanto
Vuejo à plen bord
Vuejo a bord lis estrambord
E l’enavans di fort.

Pom[m]ard, Volney, Chambertin de 1915. Peut-être faudrait-il ne vous verser qu’à genoux pour faire des libations devant les autels ?

L’entrée en guerre de la Bulgarie contre la Serbie

La Croix de la Corrèze, 10 octobre 1915. Archives municipales de Brive, 8 S 1041.

La Croix de la Corrèze, 10 octobre 1915.
Archives municipales de Brive, 8 S 1041.

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Dimanche 17 octobre 1915

 

L’abbé Puyjalon, brancardier, revient d’une assez longue captivité en Allemagne. Renvoyé, très malade, [il] quitte le lit pour partir. À 32 ans, [il] est tout blanc, [il] semble en avoir 60. Souffrances des otages civils qui comme mouches meurent de misère, de chagrin et de faim. Ils cherchent avidement les épluchures dans les détritus. Les prisonniers se soutiennent un peu par les colis venus de France. Les hommes de plus que 45 ans et de 17 ne manquent pas en Allemagne mais les Boches souffrent plus que nous économiquement.

5 000 décès au .

 

L'Illustration, 12 juin 1915. Archives municipales de Brive, 30 C 45.

L’Illustration, 12 juin 1915.
Archives municipales de Brive, 30 C 45.

***

Prisonniers de guerre en Allemagne. Collecte 14-18. Carte postale, fonds Maryse Chabanier, 10 Num.

Prisonniers de guerre en Allemagne.
Collecte 14-18. Carte postale, fonds Maryse Chabanier, 10 Num.

Camp de Cassel

Camp de prisonniers de guerre situé en Allemagne ayant connu deux épidémies de typhus en 1915.

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Lundi 18 octobre 1915

 

se marie. La .

 Wilson se marie

Le 18 décembre 1915, Woodrow Wilson (président des États-Unis, 1913-1921) se marie pour la seconde fois avec Edith Bolling Galt à Washington.

Woodrow Wilson (1856-1924)

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 764.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 764.

Vingt-huitième président des États-Unis, il est élu pour deux mandats de 1913 à 1921.

Noce à Thomas

Expression venant d’un divertissement forain, appelé aussi jeu de massacre ou chamboule-tout.


Mercredi 20 octobre 1915

 

Triste histoire d’une refugiée.
Les Prussiens ont envahi son village et massacrent au hasard. Les arrière-gardes françaises entraînent les uns, l’avant-garde prussien[ne] retient les autres. Elle a fait couler son vin dans la cave pour qu’ils ne le boivent pas. « Chuifs ! Chuifs ! (Juifs) » crient les Boches furieux… Ils la forcent à les servir. La pauvre femme cherche à s’enfuir avec son mari… Elle monte chercher son enfant au berceau : le berceau est vide… Son mari l’entraîne à moitié folle avec son fils de 10 ans ; leur vieux père a disparu aussi, égaré ou massacré…
Ce pauvre couple réfugié à Brive semble vieux bien qu’il soit à peine à l’âge mûr. Bien qu’il possède un bien, il ne veut plus revenir dans l’Est où il serait exposé à de nouvelles invasions.

 


Jeudi 21 octobre 1915

 

Comme les gendarmes d’Offenbach, nous arrivons trop tard partout : en Belgique, aux Dardanelles, en Serbie. Et comme la loyale Belgique, l’héroïque Serbie va sans doute être écrasée, broyée. « Nous ne vous abandonnerons pas », assure le tzar de toutes les Russies. « Comptez sur nous, n’attaquez pas », insistent nos diplomates. Et la Serbie est frappée traîtreusement de toutes parts et chancelle, sanglante, et nous sommes réduits au rôle – non, au supplice – de spectateurs. Nous n’inspirions pas confiance au Bulgare, au Roumain et au Grec ; il est bien amer de songer que nous leur donnons raison. Pourtant ce n’est pas une excuse à leur infamie !