Lundi 1er novembre 1915

Une dépêche de  : notre cher vieil ami  est mort. Élu majoral un jour de la Toussaint, il meurt un jour de la Toussaint. Temps affreux que cette nouvelle et l’époque me font paraître plus sombre.

 

 

Amédée Muzac (1878-1943)

Félibre, poète et érudit, il est secrétaire à la mairie d'Argentat et bibliothécaire.

En savoir plus

Eusèbe Bombal (1827-1915)

Historien, folkloriste, musicien et dramaturge d'Argentat, il devient majoral du Félibrige en 1910. Il est aussi membre de l'École limousine félibréenne, de la Société des lettres, sciences et arts de la Corrèze, et de la Société scientifique, historique et archéologique de la Corrèze.

En savoir plus


Mardi 2 novembre 1915

Ce n’est pas le jour des morts, c’est l’année des morts.
Au cimetière des soldats, une fosse creusée attend un nouvel occupant : la tristesse croît à la pensée de ceux qui sont en[se]velis sur les champs de bataille. Les tombes des prisonniers d’Allemagne. Sur une tombe allemande, une gerbe de fleurs.

 

 


Mercredi 3 novembre 1915

Enterrement de E. .
Trajet en auto dans un mélancolique décor d’automne à travers une région sauvage. Douleur de trouver le plus aimable, le plus honnête de nos amis dans le cercueil, de voir descendre son cercueil dans la fosse.
ne parvient qu’à pleurer avec nous ; , comme si nous l’avions chargé de veiller sur un trésor disparu, assure  et moi « qu’ils ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour le conserver ». Je serre la main à la vieille servante de l’érudit et je lui dis ma reconnaissance pour les soins qu’elle a prodigué à son maître. Après la cérémonie, je me réfugie chez la bonne grand’mère de Suzanne quoique je sois conviée au .
Retour précipité. La route présente un virage tous les cinquante mètres, on a la sensation de tourner sur les chevaux de bois. Au-dessus des gorges de Murel, sombres et sauvages, une nuée noire semble un bastion, et le soleil l’ourle d’argent.
Le lierre fait un fut vert au chapiteau jaune des arbres ; les prés humides ont gardé une fraîcheur, une coloration printanière. Mais ailleurs, c’est sous un ciel brumeux, la lande brune où un étang met seul une note claire. La tristesse infinie du paysage répond alors à celle de mes pensées.

 

 

Eusèbe Bombal (1827-1915)

Historien, folkloriste, musicien et dramaturge d'Argentat, il devient majoral du Félibrige en 1910. Il est aussi membre de l'École limousine félibréenne, de la Société des lettres, sciences et arts de la Corrèze, et de la Société scientifique, historique et archéologique de la Corrèze.

En savoir plus

Amédée Muzac (1878-1943)

Félibre, poète et érudit, il est secrétaire à la mairie d'Argentat et bibliothécaire.

En savoir plus

Joseph Francis Branchat de Léobazel

Argentacois et ancien fonctionnaire aux finances (1913).

Marguerite Priolo-Gaillot (1890-1955)

Fille du docteur Prioleau, elle devient à l'âge de 19 ans reine du Félibrige limousin. Pendant le première guerre mondiale, elle s'engage comme infirmière à la Croix-Rouge de Brive.

En savoir plus

Château du Bac

Château situé à Argentat, remarquable pour sa façade datant du XVIIIe siècle et son pigeonnier du XVIe siècle.


Samedi 6 novembre 1915

Première manifestation d’hostilité des Roumains envers la Russie… En Grèce, le métèque  confie le pouvoir aux ennemis de . À quand le coup de Jarnac des Grecs à nos troupes de Macédoine.
Tous ces sous-Hohenzollern des Balkans devaient nécessairement se montrer sans foi ni loi et faire cause commune avec le chef de bande . Comme les gouvernantes et les garçons d’hôtel espions, ils n’étaient que des agents boches, des éclaireurs, des fourriers d’invasion chez les peuples qu’ils étaient censés protéger. Et ces peuples imbéciles se sont laissés « embocher » et se battent pour le roi de Prusse contre leurs meilleurs amis ! Si n’étaient les Serbes, nous n’aurions pour nous venger des trahisons de ces Orientaux qu’à laisser les Austro-allemands leur mettre la corde au cou et les juguler.

 

 

Gare de Chismutari près de Brallo (Grèce). Collecte 14-18. Carte postale, fonds Gérard Gautherie, 51 NUM.

Gare de Chismutari près de Brallo (Grèce).
Collecte 14-18. Carte postale, fonds Gérard Gautherie, 51 NUM.

 

Archives municipales de Brive, 37 Fi 762.

Archives municipales de Brive, 37 Fi 762.

 

Constantin Ier de Grèce (1868-1923)

Né à Athènes, il est le troisième souverain de la Grèce moderne et règne de 1913 à 1917, puis de 1920 à 1922, avec le titre de roi des Hellènes.

Elefthérios Venizélos (1864-1936)

Premier ministre grec de Constantin Ier en 1915, il accède de nouveau à cette charge en 1917-1920.

Guillaume II de Hohenzollern (1859-1941)

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 841.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 841.

Né à Berlin, Guillaume II est le dernier empereur (Kaiser) allemand et le dernier roi de Prusse.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.


Jeudi 11 novembre 1915

Le petit soldat de 20 ans, revenu malade des , et qui repart pour la Serbie, vient me remercier parce qu’il a appris que c’était moi qui faisais les lettres de sa mère et qui lui envoyais quelques journaux. Brave et gai, il est aussi charmé d’aller se battre en Macédoine que d’être garçon d’honneur à une noce.
« On va finir d’éreinter les Bulgares », dit-il avec un rire qui montre ses dents de gosse sous une de ces moustaches juvéniles, un vrai « duvet de pêche ». « On ne marche pas fort en ce moment, mais vous verrez quand j’y serai ! » Je donne à ce brave qui paraît presque un « enfant de troupe » un passe-montagne achevé fort à propos.
« On m’en donnera peut-être un au dépôt, remarque le petit « bleu ».
– [Hé ?] bien, s’il est plus chaud, vous le prendrez et vous donnerez celui-là en Serbie à quelque camarade.
– Ah ! non, c’est celui-là que je garderai. Une dame m’avait donné un cache-nez ; avec la chaleur qu’il faisait, je n’en avais guère besoin ; mais je l’avais enroulé autour de mon corps, et même quand je crevais de chaud, je ne l’ôtais pas. J’ai perdu tout mon bagage sauf cela. »
J’ai pensé alors à un blessé qui conserve comme un reliquaire une boîte à biscuits que je lui ai donnée à l’hôpital. Quel[le] souffrance muette mais poignante de dire adieu à ces braves garçons qui vont si gentiment à la torture et à la mort probables.

 

 

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 979.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 979.

Dardanelles (détroit des)

Le 19 février 1915, la flotte alliée bombarde les positions ottomanes à l’entrée du détroit des Dardanelles. C’est le prélude à un débarquement franco-britannique, le 25 avril 1915, qui se soldera par un échec coûteux en vies humaines.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2015.


Vendredi 12 novembre 1915

Que de nuits d’insomnie où je me débats avec tous nos combattants contre l’effroyable péril, où je m’agite meurtrie, blessée, où je me sens agoniser avec la Belgique et la Serbie, où chaque averse, chaque rafale retentit douloureusement dans mon cœur.

J’ai souffert des défauts de mes compatriotes comme si j’étais d’une autre race qu’eux. Mais par un côté du moins, la sympathie, la générosité, je suis bien – bien trop des leurs.

Héros malgré lui.
À la …e du 326e, un gros territorial, ci-devant boucher « chevalin », fait par sa corpulence et sa couardise la joie de toute sa compagnie. Pour ne pas aller au feu, il s’est improvisé cuisinier et élève deux cochons. Chaque fois qu’on parle de l’expédier dans les tranchées, il se roule à terre en criant comme un enfant capricieux.
« C’est ton tour d’aller porter le jus, lui crie un fourrier.
– Impossible, sergent, les cochons n’ont pas « baqué » ».
Un jour, le capitaine dit au poltron d’un ton d’autorité :
« Tu es à la guerre et tu n’as rien vu. C’est ridicule, c’est honteux. Tu vas monter avec nous sur ce camion de ravitaillement qui va à V. On assistera à la bataille de loin, et tu pourras dire que tu as vu quelque chose.
– Mais…
– Pas de mais… Monte.
– C’est que…
– Obéis, ou l’on te fusille…
– On n’approchera pas trop ?
– Pas de danger. »
On hisse le  à l’arrière du camion et l’on part à fond de train. Le bonhomme exécute involontairement une danse du ventre et se plaint de l’allure. Zzz paf, des  se mettent à pleuvoir. Sancho Pança supplie qu’on le laisse s’en retourner. « Tu n’y penses pas, dit le capitaine, qui se divertit fort. Nous sommes repérés, il faut revenir par un autre chemin. »
On se trouve bientôt en pleine ligne de tir. Sancho se tord en tous sens comme s’il était grièvement blessé ; un obus éclate près d’eux. Soit ébranlement de l’air, soit écart des chevaux, soit terreur, le poussah tombe sur les cailloux et se blesse au menton. On le ramasse, on le ramène à demi-mort de frayeur. On lui met un pansement énorme ; et depuis, on dit de lui : « Quel poilu, le cuistot ! Blessé au feu de l’ennemi. Il a mérité la croix de guerre ! »

Traîtres.
Vieille femme qui parcourt le front à …. Dénoncée par un enfant, surveillée par un officier en civil, elle est arrêtée par celui-ci au moment où elle met comme tous les jours dans la rivière une bouteille contenant des renseignements sur les troupes et les batteries. Illettrée, elle se laisse fusiller sans dire pour qui elle opère. Elle a trois fils au front.

Dans l’Est, quantité de femmes légères de la Suisse allemande. À ceux qui s’étonnent et s’inquiètent, on répond : « Mêlez-vous de ce qui vous regarde. »

 

Collecte 14-18. Carte postale, fonds Georges Nadine 21 NUM.

Collecte 14-18. Carte postale, fonds Georges Nadine 21 NUM.

Poussah

Homme ridiculement gros et court.

Shrapnel

Obus chargé de balles qu’il projette en éclatant juste avant de toucher le sol.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.


Lundi 22 novembre 1915

Nous n’avons jamais fait les choses qu’à moitié. À moitié prêts, à moitié secondés par les Anglais, nous avons à moitié secouru la Belgique, à moitié défendu la France, à demi aidé la Russie, à demi combattu pour la Serbie. Pour ne pas manquer aux précédents, nous bloquons « partiellement » la Grèce.

 

 


Dimanche 28 novembre 1915

 

Réunion chez le Dr .
M[argueri]te , , les , , et moi. Projets pour perpétuer la mémoire de . Son testament. Le chrétien si éprouvé qui remercie Dieu des grâces accordées et demande pardon de ses fautes. Legs. Les pauvres 600 F à la bonne servante. Pas d’inventaire. Pensée délicate à l’égard de l’exécuteur testamentaire. Les amis dignes de ce parfait honnête homme. On n’a pas soufflé mot de la guerre. J’en ai éprouvé une détente.

 

 

Pendant ce temps-là sur le front…

 

Collecte 14-18. Photographie, fonds Cédric Foussard, 54 NUM.

Collecte 14-18. Photographie, fonds Cédric Foussard, 54 NUM.

 

 

Maurice Léon Léonard Prioleau (1858-ap. 1920)

Né à Objat, il est docteur en médecine. Le 15 août 1914, il est affecté au service de la Croix-Rouge comme chirurgien en chef de l’hôpital auxiliaire n° 2 de Brive. Il est le père de Marguerite Priolo (épouse Gaillot), ancienne élève de Marguerite Genès et reine du Félibrige en 1913. En 1920, alors qu’il est président de l’orphelinat des chemins de fer français (section de Brive), il est nommé chevalier de la Légion d’honneur.

Marguerite Priolo-Gaillot (1890-1955)

Fille du docteur Prioleau, elle devient à l'âge de 19 ans reine du Félibrige limousin. Pendant le première guerre mondiale, elle s'engage comme infirmière à la Croix-Rouge de Brive.

En savoir plus

Louis Joseph de Bar (1866-1932)

Chaptal du Félibrige limousin.

Joseph Francis Branchat de Léobazel

Argentacois et ancien fonctionnaire aux finances (1913).

Amédée Muzac (1878-1943)

Félibre, poète et érudit, il est secrétaire à la mairie d'Argentat et bibliothécaire.

En savoir plus

Pierre Verlhac (1864-1934)

Imprimeur et homme de lettres à Brive, il est l'un des fondateurs de la Société scientifique, historique et archéologique de la Corrèze.

En savoir plus

Louis de Nussac (1869-1951)

Bibliothécaire au Muséum d'histoire naturelle (1902-1936), conservateur adjoint du musée Ernest-Rupin à partir de 1909 et historien de la Corrèze, il est membre fondateur de la revue Lemouzi. Il est également chancelier du Félibrige limousin (1895-1897) et a été nommé chevalier de la Légion d'honneur en 1924.

En savoir plus

Voir son dossier sur la base Léonore (Légion d’honneur)

Eusèbe Bombal (1827-1915)

Historien, folkloriste, musicien et dramaturge d'Argentat, il devient majoral du Félibrige en 1910. Il est aussi membre de l'École limousine félibréenne, de la Société des lettres, sciences et arts de la Corrèze, et de la Société scientifique, historique et archéologique de la Corrèze.

En savoir plus


Mardi 30 novembre 1915

Chaque matin, en allant à mon travail, je regarde le « papillon » du « Courrier » où sont signalés les faits importants du jour. Quelquefois une ligne me cause une impression de joie fugitive ; mais le plus souvent c’est un choc au cœur qui me laisse tout le jour une douleur sourde. De là-bas, de ces Balkans qui font aujourd’hui un seul champ de bataille avec celui de France, arrivent sans cesse depuis un mois de désolantes nouvelles. La Serbie est martyre comme ses défenseurs, ses villes succombent l’un[e] après l’autre. Aujourd’hui, je lis ceci avec désespoir et indignation : « Le Monténégro envahi. » Toi aussi, vaillant petit peuple d’opprimés indomptables que nous aimons, que nous estimons ! Je me sens comme une pauvre femme qui apprendrait successivement le triste sort de tous ses enfants.