décembre 1915


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Jeudi 2 décembre 1915

Lettre d’un poilu du corps expéditionnaire.
« Mademoiselle, je puis vous dire que je vais bien quoique nous soyons dans un mauvais pays sans ressources. Nous escaladons les montagnes tandis que les Bulgares nous tirent dessus et ça nous donne du mollet. Mais quand nous sommes à la cime, nous voyons d’autres montagnes, plus hautes qu’il faudra gravir. À force de monter, nous irons au ciel… Nous ne sommes pas toujours bien ravitaillés et les gens d’ici (la Macédoine serbe) ne sont pas contents de notre venue parce qu’ils ont peur pour leurs femmes ; mais je ne demande pas à les voir. Je sais qu’il n’y a nulle part des femmes aussi gentilles que les demoiselles françaises. »

 

 


Vendredi 3 décembre 1915

Menu du jour.
Ma servante, Virginie, qui francise à sa façon et sans y entendre malice tous les noms de comestibles, vient savoir si c’est à dîner ou à déjeuner que je mangerai l’allemande (la limande)…

 

 


Jeudi 9 décembre 1915

 

Naïvement, comme le Petit Chaperon rouge au loup, nous disons au Kolosse allemand :
« Que tu es lourd, vieux Michel ! »
Et lui répond avec un sourire féroce :
« C’est pour mieux t’écraser, mon enfant.
– Quel appétit, tu as !
– C’est pour mieux te manger ! »

 


Vendredi 10 décembre 1915

 

Fiancée à un officier en campagne, Mlle X, folle fille d’un , rencontre dans ses fonctions d’infirmière un capitaine blessé dont elle s’amourache.
Elle lui donne des rendez-vous sur la promenade, au point du jour. On accuse une autre jeune fille de la ville qui lui ressemble. Furieuse, celle-ci se dissimule et photographie Mlle X en train d’embrasser le capitaine…
Enfin, l’infidèle rompt avec son fiancé et l’avise qu’elle va lui renvoyer la belle bague qu’il lui donna.
« Ne prenez pas cette peine, répond ironiquement le délaissé. Gardez-la puisque votre nouveau futur est sans fortune, il ne pourrait pas vous en acheter une jolie. »

 

Colonel Ramollot

Du personnage fictif, héros des Histoires du colonel Ramollot : aventures et araignées, boutades et joyeux récits, par Charles Leroy (1885-1899, 20 volumes). Militaire doté d’une voix puissante, prompt à l’algarade (altercation vive et inattendue avec quelqu’un), fantasque, fou, extravagant et ne brillant pas par son intelligence.


Samedi 11 décembre 1915

 

Quand la guerre a éclaté, nos défiances et nos rancunes à l’endroit des Allemands s’endormaient… Quand nous serons de nouveau près de nous tendre la main, la guerre ne sera pas loin d’éclater derechef entre nous.

Étrange ! Étrange !
L’Italie déclare la guerre à la Turquie, à la Bulgarie et ne la leur fait pas. Les Yankees chantent un chœur belliqueux de figurants : « Malheur à qui me touche. » Sans bouger de place et sans paraître s’apercevoir des gifles qu’ils encaissent, les Grecs meurent d’envie de s’allier aux Turcs contre ceux qui les ont délivrés du joug turc. Et les honnêtes gens ont la nausée de la vie et de l’humanité.

 


Dimanche 12 décembre 1915

 

Distribution des prix.
Prix d’honneur et d’excellence à la Belgique ; 1er prix de courage aux Serbes ; grand prix de férocité et de mauvaise foi aux Boches ; 1er prix d’ingratitude aux Bulgares ; les Grecs et les Yankees pourront obtenir ex-æquo le 1er prix de pleut[r]erie.

 


Lundi 13 décembre 1915

 

Contre les barbares, inventions de la soi-disant Kultur, les hommes sont obligés de chercher refuge sous la terre ; et la terre désagrégée par le gel et le dégel les ensevelit…
Pieds « dessemelés » par l’eau des tranchées.

 

Collecte 14-18. Photographie, fonds Cédric Foussard 54 NUM.

Collecte 14-18. Photographie, fonds Cédric Foussard 54 NUM.

 

Collecte 14-18. Carte postale, fonds Cédric Foussard 54 NUM.

Collecte 14-18. Carte postale, fonds Cédric Foussard 54 NUM.

 


Vendredi 17 décembre 1915

 

Je reprochais à  de se dépouiller trop facilement d’une étude historique au profit de M. N.
« Que voulez-vous, m’a dit l’excellent homme, il est soldat ! »
Argument.

 

Louis Joseph de Bar (1866-1932)

Chaptal du Félibrige limousin.


Samedi 18 décembre 1915

 

Arrivage de grands blessés – quelques-uns mourants. Je ne puis m’accoutumer et me résigner à ce spectacle. De tels maux produits par la volonté humaine, l’homme ainsi traité par l’homme… Opérations. Le malheureux qui se salit comme un enfant au maillot. L’amputé qui chante sous l’action du chloroforme une chanson d’amour. Les jurons à la Cambronne. Le Marseillais stoïque. Le Catalan et le Vendéen farouches. Le Lillois qui ne songe qu’à son coq de combat.

 


Samedi 25 décembre 1915

 

À cause de ma vieille mère qui n’a plus guère d’autre plaisir que celui de manger de bonnes choses, je me réjouissais du don qu’on m’avait fait d’une volaille truffée. Mais, tandis qu’achevant les préparatifs du dîner j’installe un gâteau des Rois auprès du chapon truffé, j’aperçois une caravane minable, des vieux, des femmes, des enfants mal et insuffisamment vêtus traînant des matelas. C’est un troupeau de ces malheureux de la France envahie que les Boches, après les avoir dépouillés et traités en esclaves, nous envoient ces jours-ci. Ils auront de la soupe, du pain certainement, et cela leur semblera un régal tant ils furent privés ; mais leur dénuement un tel jour de fête me chagrine et j’ai regret de manger de si bonnes choses près de gens qui pâtissent depuis si longtemps. L’idée me vient de quêter des provisions, des douceurs pour eux dans les maisons en liesse du quartier. Je vais paraître extraordinaire, indiscrète… Tant pis !

La récolte de 1915.
Avec des obus de tout calibre, les champions de la Kultur sont venus « défricher », labourer et ensemencer les champs de leurs voisins routiniers, arriérés. Ils les ont fertilisés par un engrais incomparable : le sang. Ils ont abattu, incendié tout ce qui existait. Voici la moisson : des cadavres, sur les ruines fumantes des plus merveilleuses cités, parmi les pieux ébréchés qui furent d’admirables forêts, dans les champs où blondissait le froment, où rougissait la grappe, où fleurissait le lin, toujours, encore des cadavres d’hommes, de toutes races et de toutes contrées, les uns à peine froids, les autres bleuis, verdâtres, informes, des demi-squelettes. La mort seule cette année a fait une bonne récolte et les corbeaux festinent seuls, les hommes se disputent un pain infect. Et eux, les ravageurs, les spoliateurs qui ont réduit des millions d’êtres à l’indigence, ils osent se plaindre et s’étonner que la disette règne chez eux. Ne méritent-ils pas de mourir de malefaim ? Ils ont semé encore des graines qui germeront et produiront au centuple : haine, horreur, vengeance. Ah ! les Boches s’entendent à la culture !

 

Collecte 14-18. Carte postale, fonds Cédric Foussard, 54 NUM.

Collecte 14-18. Carte postale, fonds Cédric Foussard, 54 NUM.

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Collecte 14-18. Photographie, fonds Cédric Foussard 54 NUM.

Collecte 14-18. Photographie, fonds Cédric Foussard 54 NUM.


Vendredi 31 décembre 1915

 

Faute d’argent, je n’ai pu payer mon loyer, et je me trouve avec des étrennes à faire et notre existence à assurer au moins une semaine encore avec 20 F en poche. J’ai reçu des fleurs de Nice, des bonbons et des babioles, et donné à chaque domestique envoyé sa petite pièce blanche ; ce qui me force à souper d’un morceau de fromage arrosé d’eau. J’ai la consolation de penser que les gens fortunés qui veulent bien me confier de l’ouvrage me doivent 250 F… Pauvres riches ! Je ne m’étonne pas que vous vous fassiez souvent des ennemis des besogneux !