Samedi 25 décembre 1915

 

À cause de ma vieille mère qui n’a plus guère d’autre plaisir que celui de manger de bonnes choses, je me réjouissais du don qu’on m’avait fait d’une volaille truffée. Mais, tandis qu’achevant les préparatifs du dîner j’installe un gâteau des Rois auprès du chapon truffé, j’aperçois une caravane minable, des vieux, des femmes, des enfants mal et insuffisamment vêtus traînant des matelas. C’est un troupeau de ces malheureux de la France envahie que les Boches, après les avoir dépouillés et traités en esclaves, nous envoient ces jours-ci. Ils auront de la soupe, du pain certainement, et cela leur semblera un régal tant ils furent privés ; mais leur dénuement un tel jour de fête me chagrine et j’ai regret de manger de si bonnes choses près de gens qui pâtissent depuis si longtemps. L’idée me vient de quêter des provisions, des douceurs pour eux dans les maisons en liesse du quartier. Je vais paraître extraordinaire, indiscrète… Tant pis !

La récolte de 1915.
Avec des obus de tout calibre, les champions de la Kultur sont venus « défricher », labourer et ensemencer les champs de leurs voisins routiniers, arriérés. Ils les ont fertilisés par un engrais incomparable : le sang. Ils ont abattu, incendié tout ce qui existait. Voici la moisson : des cadavres, sur les ruines fumantes des plus merveilleuses cités, parmi les pieux ébréchés qui furent d’admirables forêts, dans les champs où blondissait le froment, où rougissait la grappe, où fleurissait le lin, toujours, encore des cadavres d’hommes, de toutes races et de toutes contrées, les uns à peine froids, les autres bleuis, verdâtres, informes, des demi-squelettes. La mort seule cette année a fait une bonne récolte et les corbeaux festinent seuls, les hommes se disputent un pain infect. Et eux, les ravageurs, les spoliateurs qui ont réduit des millions d’êtres à l’indigence, ils osent se plaindre et s’étonner que la disette règne chez eux. Ne méritent-ils pas de mourir de malefaim ? Ils ont semé encore des graines qui germeront et produiront au centuple : haine, horreur, vengeance. Ah ! les Boches s’entendent à la culture !

 

Collecte 14-18. Carte postale, fonds Cédric Foussard, 54 NUM.

Collecte 14-18. Carte postale, fonds Cédric Foussard, 54 NUM.

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Collecte 14-18. Photographie, fonds Cédric Foussard 54 NUM.

Collecte 14-18. Photographie, fonds Cédric Foussard 54 NUM.