Dimanche 6 février 1916

 

Les Kamerads boches, le 326 et la mine à Neuville-Saint-Vaast.

 


Jeudi 10 février 1916

 

Il y a longtemps que j’ai assumé chez moi la tâche de l’homme. Ma mère s’était embarrassée d’un fainéant, d’un débauché ; j’ai dû la recueillir et la faire vivre. Mais j’ai fait plus : j’ai travaillé au-dehors comme un homme, au-dedans comme une femme pauvre. Plus d’une, d’ailleurs, joue ce double rôle auprès des siens.

 


Dimanche 13 février 1916

 

Visite d’adieu à l’hôpital.
Le Marseillais, le Corse, le Savoyard, le Parisien, le Breton, etc.
Les petits de la classe 16 et 17 (de la Charente).
Le fiévreux qui passe sous le matelas.
Le petit du Nord atteint de broncho-pneumonie, le poilu atteint de gastrite. Pour les encourager, je me dis guérie de toutes les affections dont ils souffrent !

 


Lundi 14 février 1916

 

30 % de jeunes soldats illettrés.
Les Allemands tous pourvus d’une bonne instruction primaire.

Enterrement de Gilbert G., mort le vendredi 11 février.

 


Mardi 15 février 1916

 

Deutschland : la plus vaste, la plus redoutable et la plus ignoble association de malfaiteurs qu’on ait jamais vue.

 


Mercredi 16 février 1916

 

« Je ne suis plus patriote.
– C’est donc que vous ne l’étiez guère. Tant que l’épreuve nationale ne vous a pas effleurée, vous faisiez étalage de patriotisme. Mais votre fils est à l’armée – simple soldat –, votre mari, qui se dit malade, est en observation à l’hôpital militaire. Cela suffit, vous reniez votre pays comme Pierre son maître… »

 


Vendredi 18 février 1916

 

J. P., secrétaire de , nous fait espérer la paix pour l’automne. Quelle paix ? Boiteuse, malheureuse armée jusqu’aux dents. Je ne suis pas moins anxieuse de cette paix que de la guerre.

 

Denys Cochin (1851-1922)

Homme politique, écrivain français et membre de l’Académie française, il est conseiller municipal de Paris de 1881 à 1894 et député de la Seine entre 1893 et 1919.

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Dimanche 20 février 1916

 

Confidences d’une laitière à une autre : « Vezetz be, lou gouvernamen que sale ben lire e escriure auria degut aver prou municious. »
Le gouvernement se compose toujours des mêmes pour eux. (Le vieux et 48).

Récit de Paul C. La vieille femme et la barricade (vers Carignan, pendant la retraite de Charleroi).

Acquittement des deux traîtres suisses. Un choc en plein cœur, une stupeur puis cette amertume que l’ignominie des hommes répand en nous. Quoi, ceux que nous croyions nos meilleurs amis nous trahissent. « Et toi aussi, mon fils ! »
Ces soldats qui défendent à Verdun le sol français de façon à arracher des cris d’admiration, à mériter, comme le dit Kipling, qu’on s’agenouille devant eux,  les vendaient aux assassins boches ; et leurs chefs, leur ont donné de l’avancement, le conseil fédéral s’est efforcé de les soustraire – je ne dis pas au châtiment – mais au jugement. Leur crime est prouvé : ils ont vendu tous ceux qu’ils pouvaient vendre : la France, l’Italie et la Russie. Ils ont sali le pays et leur armée, et le conseil de guerre les acquitte, encourageant la délation dans l’armée suisse. Ceux-là aussi, les Allemands les ont avilis. Si la Suisse n’y met ordre, elle sera perdue d’honneur par l’espionnage, en attendant d’être asservie par les Germains. La patrie de Guillaume Tell ne sera plus qu’une prostituée doublée d’une espionne.
Ces faits prouvent qu’ils n’étaient pas seuls vendus aux Boches.
Et pourtant, quelle âme française ont montré certains Suisses ! Les accents de leur pitié, de leur tendresse également, presque ceux de notre indignation et de notre douleur. Qu’ils purifient leur pays ceux-là, qu’ils le réhabilitent et le sauvent.

 

Affaire des colonels

L'affaire des colonels Friedrich Moritz von Wattenwyl et Karl Egli est une affaire d'espionnage militaire suisse qui éclate pendant la première guerre mondiale. Elle suscite une polémique quant au penchant germanophile de l'état-major suisse.


Lundi 21 février 1916

 

« Je n’en veux plus », dit un permissionnaire en parlant de la lutte. Se débarrasser de tout ce qui gène, très commode. Ma mère est tombée en enfance, gâteuse, quinteuse : « Je n’en veux plus. » Je la mets à la porte.
Ma femme est malade, inutile : « Je n’en veux plus ! » Qu’elle aille à l’hôpital !, etc.
On est qu’un lâche lorsqu’on agit ainsi.

 


Vendredi 25 février 1916

 

Tempête de neige. Fine, pressée, l’averse tombe sans arrêt ; la couche s’épaissit ; les arbres sont chargés à craquer. Les fils électriques surchargés qui semblent des boas de plumes se rompent. Accidents, électrocutions. Des rossignols se refugient dans la salle à manger. Ah, nos soldats ! Nos pauvres soldats ! Point de refuge pour eux !
Les sénégalais tout noirs et blancs bombardent le sous-préfet.

Un seul coloris.
Fraîcheur de l’atmosphère. Sons atténués.
Enfants qui jettent des boules.
Pourquoi se fâcher ? Ils nous fleurissent comme des mais.

Tout est « sculpté ».
Palatine, capuchons aux becs de gaz, aux globes électriques.

 


Samedi 26 février 1916

 

Bataille de Verdun.
Toujours les alarmes, l’angoisse. Comment ne meurt-on pas de chocs pareils, répétés, et d’une si longue oppression ? J’ai peine à respirer. Serons-nous sauvés encore une fois ou succomberons-nous ? Toujours ce même atroce dilemme depuis dix-huit mois ; j’espère pourtant ; nos chances sont plus grandes qu’en septembre 1914. Dieu ne nous a pas sauvés alors pour nous perdre aujourd’hui… pourtant, la Serbie… Que d’enfants la France va perdre encore dans cette bataille ! Nous attendons des blessés qu’on ne pourra assez soigner, choyer… Mais tandis que nos défenseurs souffrent des tortures effroyables sous des rafales de mitrailles et de neige, il y a dans les grandes villes des conférences, des concerts, des représentations suivies. Il ne devrait y avoir pourtant que deux attitudes, en ce moment : pour les hommes, la lutte farouche acharnée jusqu’à la mort ; pour les femmes l’agenouillement devant le Dieu des armées, devant le soldat qui luttent, devant le blessé qui gémit, devant la tombe fraîchement fermée. Et c’est là seulement, dans l’action héroïque pour eux, dans la prière fervente pour nous, qu’est l’apaisement…

 

Réalisation des élèves de CM2, année 2013-2014, dans le cadre des « Petits artistes de la mémoire », à partir de la correspondance d’un poilu briviste, Alfred Delavallade.

Réalisation des élèves de CM2, année 2013-2014, dans le cadre des « Petits artistes de la mémoire »,
à partir de la correspondance d’un poilu briviste, Alfred Delavallade.