Vendredi 3 mars 1916

Sensiblerie déraisonnable.
Une laitière pleure en descendant la côte qui mène à la ville.
« Qu’avez-vous, pauvre femme ?
– Hélas ! Mon mari est à la guerre.
– Et où est-il ?
–Au viaduc de Lamoureux. » (À 3 km de Brive-la-Gaillarde).

Récit d’un permissionnaire.
De retour d’une marche, tout suant, un soldat, excédé de la vie des tranchées et déjà atteint d’un mal de gorge, insiste pour qu’un camarade lui jette un seau d’eau froide.
« Ainsi, dit-il, j’aurai une fluxion de poitrine et l’on m’évacuera. » Le camarade se fait prier, puis s’exécute. Le lendemain, l’aspirant  est guéri de son mal de gorge.

Je ne m’illusionne pas : le peuple est toujours berné, tondu, tyrannisé par ses gouvernants aussi bien en France qu’en Allemagne, en république qu’en monarchie ; nous, Français de 1916, nous sommes tyrannisés, trahis, démoralisés, déshonorés par une secte politique, une société secrète qui n’est qu’un trust, pis que cela, une bande… Le peuple ne sera jamais majeur et il aura toujours des loups pour bergers, tuteurs prévaricateurs.

La « loge », vraie loge de concierge mais d’un concierge capable d’envoyer à la guillotine.

 

 

Embusqué

Militaire affecté, par faveur, à un poste éloigné de tout danger.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.


Dimanche 5 mars 1916

Le Souvenir français.
Il devrait étendre son action – conférences, représentat[ions], journaux, livres, etc. Il faut faire un recueil des « Atrocités boches ».

 

 

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 895.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 895.


Lundi 6 mars 1916

 

Le courage chez nous est trop souvent forcé de suppléer l’absence d’autres qualités : prévoyance, esprit de suite, bon sens.

 


Jeudi 9 mars 1916

 

Mère affolée pour sa jeune couvée, Mme X préconise pour établir le règne de la paix une alliance franco-… allemande.
« Tendre le cou pour qu’on m’enchaîne ? Jamais… Et vous croyez que nous éviterions la guerre ? Les alliés de l’Allemagne, l’Autriche, la Bulgarie, la Turquie n’ont-elles pas été entraînées par elle à la guerre ? Les Alsaciens, les Polonais annexés ne sont-ils pas contraints de se battre pour leurs bourreaux boches ? Ils se battraient pour nous ? Ah ! le bon billet ! Le bon chiffon de papier ! Ils nous obligeraient à lutter avec eux contre l’Angleterre… M’associer à une bande de malfaiteurs qui vient de saccager ma maison et d’assassiner ma famille ? Et contre ceux qui m’ont secourue ? Pour qui me prenez-vous ? »

 


Vendredi 10 mars 1916

 

Les 50 000 Russes envoyés pour l’offensive prochaine. Sacrifiés, ils ont une famille…

 

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 785.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 785.


Dimanche 12 mars 1916

 

Les « juges » ( ?) suisses acquittent les traîtres  mais condamnent à 2 ans de prison les honnêtes gens qui manifestent leur indignation du crime et de la sentence… Justice distributive !

 

Affaire des colonels

L'affaire des colonels Friedrich Moritz von Wattenwyl et Karl Egli est une affaire d'espionnage militaire suisse qui éclate pendant la première guerre mondiale. Elle suscite une polémique quant au penchant germanophile de l'état-major suisse.


Lundi 13 mars 1916

 

Un poilu, peut-être un peu pouilleux, se plaint d’intolérables démangeaisons. Il quitte la tranchée, passe à la visite. Un premier major le trouve atteint de la gale ; un second, plus à l’arrière, d’eczéma ; un troisième prononce qu’il n’a rien du tout et le renvoie au feu…

 


Mardi 14 mars 1916

 

Je tiens tête obstinément aux pessimistes. J’ai une riposte prête à toutes leurs objections.
« Si les Boches prennent Verdun, disent-ils, nous sommes perdus. Y’a pas d’autre place forte entre eux et Paris.
– Y en a-t-il entre  et Paris ?
– Les places fortes ne comptent plus.
– Mais c’est la charnière… Ne savez-vous pas que la capitulation de Verdun en 1792 fut le prélude de la victoire de Valmy ? »

 

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 780.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 780.

Soissons

Commune de l’Aisne (Picardie), Soissons est l’une des villes martyres de la Grande Guerre. Après la bataille de la Marne, le front se stabilise au nord de la ville mais celle-ci est bombardée jusqu’en 1917.

Carte postale. Collection Mme Lagarde.

Carte postale. Collection Mme Lagarde.


Mardi 21 mars 1916

 

Hier soir, à la librairie Bessot où je fais quelques emplètes, entre un officier étranger grand, élancé, brun, aux yeux noirs, étincelants sous un front proéminant. Enveloppé d’un ample manteau, décoré de plusieurs croix, il porte un haut bonnet gris à croissant argenté. Sensation. On ne reconnaît ni l’uniforme anglais, ni l’équipement belge. L’officier demande lentement quelque chose qu’on n’a point et sort. Des curieux, soldats et civils, s’étaient arrêtés devant le seuil. Un monsieur chic dit à un militaire qui l’accompagne : « C’est un Serbe. » Les têtes se découvrent : « Vive la Serbie ! », puis les mains se tendent. Le Serbe les serre sans s’émouvoir aucunement.
« Vous êtes blessé ?
– Non, j’ai reçu une commotion violente et l’on m’a envoyé me reposer en France. »
Escorté par quelques curieux entreprenants, l’officier s’éloigne devant moi. Et je me dis : « Il n’a pas répondu : « Vive la France ! » Une rancœur étreint son âme d’exilé. Il apprécierait une sympathie plus militante ; mais nous avons peine à nous défendre nous-mêmes. Et ce cri : « Vive la Serbie ! » Ces mains tendues, vers ceux qui furent la cause – involontaire – d’une lutte si atroce, d’un martyre si prolongé, témoignent d’une délicatesse, d’une chaleur de sentiment vraiment touchants. Soldat Serbe, ne peux-tu oublier les diplomates ignares et malfaisants, et dire : « Vive la France ? » »

 


Dimanche 26 mars 1916

 

Ma petite médaille et ma prière qui devaient dans sa pensée – si peu croyant qu’il fut – et un peu dans la mienne le protéger contre les balles ne lui ont-elles pas valu sa mort héroïque et foudroyante, rachat d’une vie peu exemplaire jusqu’alors et préservatif de nouvelles fautes ? Il risquait de mal vivre, il est bien mort, ma pieuse intention n’a peut-être pas été vaine.
« Caput Cyri amputatum in utrem humano sanguine repletum conjici Tamyris jubet cum hâc exprobratione crudelitatis : « Satia te, inquit, sanguine quem sisisti, cujusque insatiabilis fuisti. » » « La tête de Cyrus ayant été coupée, Tomyris la fit jeter dans une outre pleine de sang humain en lui reprochant ainsi sa cruauté : « Abreuve-toi de ce sang dont tu as été insatiable. » »
L’écolier qui traduit près de moi cette version s’arrête, réfléchit et remarque : « Je voudrais qu’on applique ce traitement à . » Ce serait trop doux mon ami. Les morts ne sentent pas. Je connais un supplice mieux assorti à ses crimes : au Moyen Âge, on donnait la question par l’eau en forçant le coupable à boire jusqu’à la suffocation. Guillaume mérite d’être gorgé de sang humain jusqu’à l’étouffement.

 

Guillaume II de Hohenzollern (1859-1941)

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 841.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 841.

Né à Berlin, Guillaume II est le dernier empereur (Kaiser) allemand et le dernier roi de Prusse.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.