Jeudi 8 février 1917

 

Depuis dix jours, froid de plus en plus rigoureux. Tout arrive congelé du marché : œufs, fruits et légumes. Dimanche, prise d’une forte fièvre et d’une courbature générale, j’ai dû m’avouer incapable de tout effort sérieux. Ce n’est pas tout la souffrance, l’insomnie qui m’affligent que l’incapacité de travailler. Les nuits de gelée et les journées de neige se succèdent. Mon front brûlant appuyé aux vitres froides, je regarde tomber les flocons pressés. Pour augmenter ma fièvre, l’idée des souffrances de nos soldats me hante. La neige les ensevelit dans les tranchées. « Notre pain s’est gelé et nous ne pouvions le couper », me dit l’un ; « 26° [C] au-dessous de zéro, l’essence gèle dans le moteur ajoute un pilote, impossible de voler. Des permissionnaires ont eu les pieds gelés dans le train ; on ramasse des factionnaires morts de froid. » Je m’efforce de prier pour les infortunés mais mon mal de tête est si violent que [mes] prières se dissolvent dans une sorte de stupeur.

Le Pays de France, collection archives de Brive, 28C114

Brive – Le Grand marché, place de l’Hôtel de Ville, carte postale, 37Fi103


Mardi 13 février 1917

 

« La rupture des États-Unis avec l’Allemagne a produit dans les tranchées un excellent effet moral, me dit André B.
– Évidemment, c’est une agréable surprise et par ce temps cruel, ce réconfort vient à point. Surtout si l’on envisage le côté financier de la question.
– Oh ! nos poilus n’en ont pas la moindre idée. Seulement, ils croient que Poincaré, les ministres et le Parlement ont voulu la guerre. Alors ils se disent : Si un pays comme les États-Unis, un homme comme se mettent de notre côté, c’est que vraiment nous avons raison, que notre cause est juste, que nous ne sommes pas les agresseurs.
– Pauvres diables ! leur ignorance est pitoyable ; ils n’ont aucune vue claire des grands événements dont ils sont acteurs ; leurs convictions sur nos gouvernants, sur les États-Unis, surtout, sont en eux comme des microbes ou des toxiques absorbés inconsciemment mais ils sont Français, par conséquent idéalistes, amis de la justice la grande république transatlantique leur apparaît – comment ? pourquoi ? – un tribunal impartial, Wilson un juge intègre. Et leur cause approuvée par de tels magistrats leur devient plus chère. Mais Dieu ! qu’il y a à faire pour éclairer ces malheureux qui ne connaissent ni leur pays, ni leurs amis, ni leur[s] ennemis, ni eux-mêmes et sont souverains par leur vote ! »

Le Pays de France, collection archives de Brive, extrait de l’article La semaine militaire, 28C115

Le Pays de France, collection archives de Brive, 28C115

Woodrow Wilson (1856-1924)

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 764.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 764.

Vingt-huitième président des États-Unis, il est élu pour deux mandats de 1913 à 1921.


Jeudi 15 février 1917

 

À dîner, le  a conté ceci :
« Une compagnie de légionnaires logeait au front dans une ferme reconquise. Ils voient un jour arriver dans la grange une dame, la propriétaire que j’avais sur ses instances répétées autorisée à aller chercher une somme qu’elle avait enfouie avant de fuir. Un légionnaire, installé sur une paillasse dans un coin, est prié par elle de déménager. Avec une pioche, la dame fait un trou profond et en sort… 40 000 F ! Le légionnaire, furieux de voir que la fortune ne vient pas toujours en dormant et qu’il a raté la sienne, faute de flair, se pend à la place même ! »

 

Louis Franchet d'Espèrey (1856-1942)

Né à Mostaganem, Franchet d'Espèrey sort de Saint-Cyr en 1876. Lorqu'éclate la première guerre mondiale, il est en charge du commandement du 1er corps d'armée à Lille. Il se distingue à la bataille des Frontières d'août 1914 et le général Joffre lui confie le commandement de la 5e armée. Il commande le groupe d'armées de l'Est en 1916, puis le groupe d'armées du Nord en 1917. Il est élevé à la dignité de maréchal de France en 1921.

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Vendredi 16 février 1917

 

Je cherche une marraine pour un  de la classe 17, un jeune réfugié bien élevé, intelligent, qui ne reçoit jamais un mot de personne ; mais  a une demi-douzaine de protégés ; son dernier filleul est un journaliste catalan, Martial Ferrer qui, voyant son journal acheté par les Boches, a donné sa démission et s’est engagé dans l’armée française.
Blessé, en traitement dans un hôpital de la région lyonnaise, il méritait bien la belle et bonne marraine qu’il a. Hélène aussi a un filleul mais très original. S’étant promis d’être la plus « gâteau » des marraines, elle lui envoie chaque jour un colis ; sentimental, le soldat répond aux lettres mais retourne chaque jour le colis. « Gardez-le pour vos camarades », supplie la marraine. « Mes camarades sont comme moi, nourris par l’État et n’ont pas besoin de colis », réplique ce filleul désintéressé. Lequel des deux s’obstinera le plus ? Les paris sont ouverts. Moi, je parie pour le poilu : c’est un Breton. Hélène m’offre pour mon bluet une de ses amies, malheureusement très changeante. Je reste indécise et perplexe… Je ne peux pourtant pas en adopter encore un ! Enfin, Yvonne ne sait pas si son filleul est mort ou vivant : depuis un mois, elle est sans nouvelles de lui.

L’illustration, collection archives de Brive, 30C100

L’Illustration, collection archives municipales Brive, 30C100

Bluet

Bleuet. Surnom donné par les premiers poilus (porteurs des pantalons « rouge garance ») aux jeunes recrues (à partir de la classe 1915), vêtues de l'uniforme bleu horizon.

Marguerite Priolo-Gaillot (1890-1955)

Fille du docteur Prioleau, elle devient à l'âge de 19 ans reine du Félibrige limousin. Pendant le première guerre mondiale, elle s'engage comme infirmière à la Croix-Rouge de Brive.

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Dimanche 18 février 1917

 

Le bruit commence à courir que la guerre ne finira pas cette année ; qu’elle peut durer deux ans encore. On a attendu les Anglais, maintenant il faudrait attendre les ; au bout de trois ans, ceux-ci auraient pu être prêts. Si après ça, les Américains du Nord attendent ceux du Sud, et ceux-ci les Japonais ou les Chinois, ça peut durer cent ans ! Mais restera-t-il des Français pour profiter de la victoire finale ? Ne périrons-nous pas tous, des deux côtés du Rhin, de mort violente ou de misère ?
Doit-on voir finalement un égorgement général ? Y aura-t-il de toutes les races, blanche, jaune et noire et le combat ne finira-t-il que faute de combattants ?

 

Sobriquet donné par les Anglais aux colons révoltés de la Nouvelle-Angleterre, puis, lors de la Guerre de Sécession, par les sudistes aux nordistes et depuis appliqué à tous les habitants anglo-saxons des États-Unis.

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Samedi 24 février 1917

 

Trois petits jouent au jardin. Cris de Marcelle, chérubin de 4 ans. Qu’y a-t-il ? Louis, dit Loulou, général improvisé, tape sur sa sœur avec son bâton de commandement.
« As-tu fini ! Pourquoi la bats-tu, vilain Loulou ?
– Je la bats parce qu’elle ne veut pas se battre ! »
Voilà bien le traitement réservé aux pacifistes voire aux pacifiques.

Graine de Poilu, carte postale, 37Fi982


Lundi 26 février 1917

 

Lettre de prisonnier :
« Ne nous envoyez plus que des aliments tout prêts ; nous sommes sans feu, nous pouvons à peine faire tiédir une conserve. »

 


Mercredi 28 février 1917

 

Causerie avec une réfugiée de que la disette a chassée de chez elle.
La première chose que les Boches ont faite dans cette ville, comme en tout lieu, c’est de vider les caves. Un gros marchand de vin avait dissimulé quelques barriques et donné tout le reste. La femme de son comptable, s’étant mise à fréquenter les ennemis, a dénoncé les deux hommes qu’on a traînés en prison et relâchés seulement contre forte rançon. Les Boches ont emporté de chez Mme A. 3 charretées de cuivre ; il a fallu qu’elle paye pour l’extraction et le transport de ces robinets, poignées, boutons, etc. « Nous sommes tellement dépouillés et rationnés par eux, dit-elle, que nous mourrons de faim ; j’ai maigri de 30 livres… Les chefs, ajoute-t-elle, sont bien plus odieux que les soldats. »

Un train de voyageurs va partir. Non : « Tout le monde descend ! » Les Anglais ont besoin du train. Les formalités, il n’y en a pas pour eux.

Le Pays de France, collection archives de Brive, carte du front occidental, 28C118

Laon est une commune française située dans le département de l'Aisne et dans la région des Hauts-de-France.

Le 29 août 1914, la 5ème armée française établie son quartier général dans la commune mais la ville est prise le 2 septembre 1914 par les Allemands.

Elle restera un des principaux point d'appui allemand jusqu'au 13 octobre 1918.

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