Devant le sans-gêne souvent excessif de nos alliés anglais, on se demande involontairement ce qu’ils feraient… s’ils étaient chez nous en ennemis… Dans l’intérêt de l’entente cordiale, je les engagerais à respecter mieux les formes.
Devant le sans-gêne souvent excessif de nos alliés anglais, on se demande involontairement ce qu’ils feraient… s’ils étaient chez nous en ennemis… Dans l’intérêt de l’entente cordiale, je les engagerais à respecter mieux les formes.
Avec Raymond, étude sur l’art ogival et ses chefs-d’œuvre : Reims, Ypres… qu’ils ont anéantis, Amiens, Paris, qu’ils se sont efforcés de détruire.
Conclusion à ce chapitre d’histoire de l’art : Pour rien au monde, on ne voudrait être Allemand.
Craintes et menaces de disette. Quelques-uns osent se plaindre parce qu’on n’a plus que du pain bis et rassis ; ceux-là méritent d’en manquer 48 heures, ils le trouveraient bon ensuite.
À la campagne, j’ai mangé du pain de quinze jours et moisi. Voilà qui apprend à vivre. Nous allons avoir cartes de sucre, de pain et lait. Pourvu qu’avec la carte on obtienne ces denrées ! À l’automne, le mauvais temps a empêché les semailles ; les réserves de pommes de terre se sont gelées en février et déjà les taxes et la peur de la disette raréfient bon nombres d’aliments.
Un arrêté préfectoral nous a enjoint d’aller réclamer nos cartes à la mair[i]e avant le 1er, sous peine de n’avoir droit à rien ; les cartes ne sont pas encore arrivées aujourd’hui ; l’article 2 de l’arrêté dit qu’avec ces cartes on pourra s’approvisionner dans tout magasin du département ; l’article 8 interdit aux commerçants de vendre à ceux qui n’habitent pas la commune. Quels sont les idiots qu’on emploie à rédiger les documents administratifs ?
Le sergent-major L., irrité, démoralisé, me confie ses rancœurs. « Comprenez-vous cela ? Voyant que beaucoup d’hommes ne soupaient pas le soir à la caserne, j’ai proportionné les achats aux besoins et j’ai 60 000 F de boni. Au lieu [de] me féliciter, on me maudit ; il fallait, il faut employer les fonds prévus ; que faire maintenant de ces 60 000 F [illisible] qu’on les bouffe le plus vite possible. Arrange-toi, sergent. Eh bien ! Je vais acheter 60 000 F de vin et tant qu’il y en aura en donner à discrétion ! Si l’on m’y reprend à économiser les fonds d’État ! »
La petite fille du briquetier de Béthune ne recevra jamais la fève du gâteau des rois : elle vient de mourir au cours d’un bombardement.
Une femme du peuple suivait tantôt dans la rue Mme M. qu’elle ne connaissait même pas et simplement parce qu’elle lui paraissait élégante en criant : « On n’en trouve pas de pétrole, mais il y en aura quand même assez pour brûler ta maison et toi ! » Une autre mégère a crié à Mme T. : « Nous saurons bientôt ce que les bourgeois ont dans le ventre. » Une blanchis[s]euse qui a d’ailleurs perdu deux fils à la guerre demande : « Quand commence la Révolution. Je la suis avec un couteau ! » Une paysanne déclare : « Si l’on vient après le battage réquisitionner nos céréales, nous prendrons nos faux et les réquisitionneurs ne sortiront pas vivants de chez nous… » À l’oreille, elle me confie : « Quand les hommes reviendront, nous pendrons les curés et les bourgeois qui sont causes de la guerre ! » Le sot fétichisme pour la Révolution, le néfaste anticléricalisme inoculés au peuple depuis un demi-siècle et la perfide propagande boche s’amalgament, se renforcent comme la brique et l’acide azotique pour former un dangereux explosif. On fait dans les campagnes des conférences pour récolter de l’or. Il en faudrait faire pour éclairer ces aveugles enragés, prêts à déchaîner imbécilement la guerre civile. Mais quelles clartés peuvent être perçues des aveugles ?
Toujours les manœuvres boches : des placards soi-disant royalistes où l’on préconise l’élection d’un monarque ont été collés cette nuit sur maintes portes ; tandis que ce matin, des brochures antimilitaristes étaient distribué[e]s aux soldats. Il y a un comité anarchiste formé pour cette distribution. On le sait et les autorités ne sévissent point. Pourquoi ?
Briand et démissionnent. Marianne est encore comme ces parvenues, mauvaises patronnes, impossibles à servir qui ne savent garder aucun domestique, chez qui gâchage et lâchage se succèdent.
Révolution en Russie. Abdication du . Il me semble sentir le sol trembler et voir un vaste édifice vaciller, chanceler, craquer, s’effondrer. Vacarme et les nuages de poussière, je ne distingue plus bien ce qui se passe et, immobile de stupeur, je me demande anxieusement si ce qui reste encore debout ne va pas crouler aussi et accroître le nombre des victimes ?
Nicolas II est le dernier tsar de Russie.
Ils battent en retraite. Nous recouvrons Bapaume, Péronne, Ham, cent bourgades. Oui, mais tout est dépeuplé, incendié, ruiné, dévasté, les arbres coupés sur le sol déchiré. « La ville qui les voit a figure de morte. » J’ai vécu deux ans dans ces lieux.
Des larmes me viennent au souvenir des villageois de Cacheleux qui m’apportaient, avec des félicitations comiquement pompeuses, un champêtre bouquet à la sainte Marguerite, au souvenir des jolis bois du [Valons ?] tapissés d’anémones, de [jacinthes ?] et de muguets. Beaux pommiers, beaux poiriers qui donnez ce champagne rustique, le cidre ou le poiré, les lâches envieux vous ont abattus et de longtemps les chemins ne seront plus fleuris et les repas joyeux. Ils n’ont même pas laissé d’eau à boire : les puits sont empoisonnés. Sans doute nous avons mérité l’épreuve ? Mais leurs crimes, que méritent-ils ? L’horreur, la haine universelles, ce serait bien trop peu.
Nouveau ministère, ministère de saison, printanier, parfumé à la violette ; Maurice, ministre du Ravitaillement ; Painlevé, ministre de la Guerre ; Desplas, Travaux publics ; Fernand David, Agriculture. Painlevé et Desplas, quelles garanties contre la disette ! David terrassera bien le géant Goliath avec une simple fronde. Ce scandale : un général, au ministère de la Guerre, a cessé ; mais d’où vient qu’on tolère un amiral à la marine au lieu d’y mettre un vétérinaire ou un avocat ? Pourquoi cette dérogation aux salutaires principes de la démocratie citoyenne ? Pourquoi cet antimilitarisme mitigé ? Parce que nul marin ne devint dictateur ?
« Quatre cents femmes de 15 à 40 ans, de Nesles et des alentours, ont été emmenées de force par les Allemands en retraite pour servir d’ordonnances… » Les journaux.
Y a z’une fill’ dedans Paris
Qui n’est si jeune et si jolie
Dedans Paris y a z’une fille
Qui n’est si jeune et si gentille
Quand sa mère l’a eu coiffée
Trois soldats la n’ont emmenée
« Soldats, soldats, laissez ma fille !
Elle est si jeune et si gentille ! »
Un des soldats a répondu :
« Votre fill’ vous ne l’aurez plus
C’est pas pour moi que je l’emmène
C’est pour Monsieur mon capitaine. »
Le capitain’ la voit venir
Qui de pleurer ne peut s’retenir :
« Ne pleurez pas, fille jolie,
Ne pleurez pas, je vous en prie ! »
La bell’ demande un p’tit moment
Pour prier Dieu dévotement.
En priant Dieu de bonne grâce ;
La belle est morte sur place
Qu’on m’apporte du papier blanc
Pour écrire à tous ses parents
Et prévenir sa tendre mère
Que sa fille est morte en prière !
Cette vieille chanson française, souvenir de guerre qui me semblait d’un passé tellement légendaire et lointain, qu’ils la rendent actuelle les affreux bandits teutons ! Qu’elle est en ce moment poignante et déchirante, la plainte du chant populaire ! Si j’étais une des malheureuses femmes enlevées, je tâcherais de crever les yeux à quelqu’un de ces misérables qui ne sont plus des soldats, mais d’immondes criminels et de me faire fusiller : ce serait mille fois plus doux que la vie avec eux.
Dans le vestibule de la mairie, un petit vieux distribue des imprimés que nous allons échanger contre des cartes de sucre. Selon la lettre alphabétique, il faut se rendre à l’une des écoles ; moi, c’est à l’école maternelle, triste vieux bâtiment noir au centre de la ville, lieu peu propre aux ébats des bambins. Dans une salle basse, aux murs dégradés, quatre ou cinq institutrices épuisées par le surmenage distribuent des cartons bleus, jaunes ou verts selon l’importance de la famille. Le public ne compte guère que des pauvres femmes. Ma femme de ménage et sa pensionnaire m’attendaient chez moi pour me montrer leurs feuilles. La pensionnaire, une fille de paysans riches, a ainsi libellé la sienne :
Nom : Léonie
Prénom : Migot
Profession : Estropier
Membres de la famille :
1 Léonie
2 Migot
3 Léonie Migot…
« Elle est savante, Léonie, remarque ma femme de ménage, elle a été longtemps en classe ! »
Toujours les lumignons fumeux pris pour des lumières par la masse aux trois quarts aveugles !
Ce matin, ma femme de ménage m’a dit : « J’ai été chercher ma carte. Il n’y avait que des femmes mal vêtues. J’étais la plus élégante. Ces cartes ne sont que pour les pauvres, pour les priver et pour laisser le sucre aux riches. » Le peuple a le délire de la persécution. Les dirigeants de la IIIe République sont en bonne part responsables de ce déplorable état d’esprit. Ils ont inoculé aux écoliers la haine et la méfiance du noble, du prêtre, du riche, du supérieur quel qu’il soit, lui ont prôné à l’excès la Révolution. Tout cela se tournera contre eux, devenus riches, bourgeois et maîtres. Sont-ils bornés, de ne pas comprendre que le respect des supériorités des autorités est le meilleur aide du pouvoir ?
On espérait un peu de douceur printanière, l’hiver sévit. Chûtes (sic) de neige et vent cinglant depuis huit jours. Et là-bas, sur l’Oise et la Somme, dans les tourbillons glacés, nos soldats luttent et tombent. On apporte des blessés, des malheureux aux membres gelés ou atteints de pleurésies, de bronchites chroniques.
Dédié aux destructeurs de Louvain, d’Arras, de Reims, de Senlis et de toute civilisation à leur portée : « Démétrius vint mettre le siège devant Rhodes ; mais il renonça à son entreprise de peur de détruire l’Ialyse de Protogène qui se trouvait dans le quartier de la ville par lequel il pouvait diriger son attaque avec chance de succès. » Roger Peyre, Histoire de l’Art.
Laurent est venu deux fois pour me dire adieu et finalement on n’a pu échanger sur le seuil que quelques paroles dans une hâte et un désarroi de pensées. Les mots qu’on se dit dans ces adieux, qui risquent tant d’être définitifs, ne sont pas ceux qu’on a au fond du cœur, qu’on serait tenté de dire, c’est souvent l’opposé. Le soldat s’efforce de paraître gai, confiant ; son interlocutrice affecte une sérénité qui cache mal une secrète inquiétude. On oublie ce qu’on s’était promis de dire et de peur d’en exprimer trop, on s’en tient aux banalités, on fait un dialogue de médecin à malade.