Vendredi Saint.
À quelle station de notre calvaire sommes-nous ? Poudreux et sanglants, nous fléchissons sous le de notre croix et la brutalité des bourreaux et notre courage nous relèvent.
C’est la Passion. Ressusciterons-nous le jour de Pâques ?
Jeunes femmes et vieilles mères sont depuis plusieurs jours sans nouvelles des leurs plongés dans la bataille, prisonniers, morts peut-être. La douleur de chacun, multipliée par celle de tous, est portée à une puissance incalculable. Nous nous dégageons des ruines fumantes et croulantes _______ pour les défendre… La France vaincue… Paris détruit… Mon Dieu ! éloignez de nous ce calice…
Prière d’Esther.
Cessent de se plus mouvoir mes nerfs et mes artères
Cesse mon cœur de battre et mes deux yeux de voir
Montchrestien (Aman).
En toute guerre, la soldatesque est pillarde et brutale ; en mainte lutte, la destruction des populations, la dévastation des pays furent organisées ; et ses Huns furent un cyclone ; l’inique et détestable Sénat romain – donnons-lui ses vrais titres en dépit de Montesquieu –reléguait sur les ruines de ; mais en deux mille ans de christianisme et de civilisation, les Germains n’ont appris qu’à porter la barbarie à son comble en lui appliquant les inventions destinées à la combattre. Châtié en proportion de ses crimes, ce peuple subira un sort tellement atroce que les autres en resteront béants d’horreur et de stupeur. Bourreau ! Quelle expiation tu te prépares !
La goinfrerie qu’il apporte à table, l’Allemand l’avait étendue à tout. L’ogresse Germania voulait tout dévorer ; mais elle a rencontré un Avenant, le petit soldat de France :
Approche ! Voici Avenant,
Quoi qu’il ne soit pas des plus grands,
Il t’arrachera les dents…
C’est vainement qu’elle tente de nous effrayer. Pendant les raids de Gothas et de , le vaudevilliste bâtit une saynette (sic). Pendant l’alerte, le camelot médite un fétiche, une Nénette et son Rintintin. Les savants du Muséum profitent de l’aubaine pour recueillir au phonographe les impressions des animaux féroces, et la midinette s’écrie : Quelle barbe !… Zut ! puisqu’il fait beau, allons nous promener ! »
Chère Amie,
J’espérais tous les jours avoir de vos nouvelles, mais rien… cela me ferait pourtant bien plaisir. Ici ça continue – avant-hier soir, 2 heures de cave ; hier, 5 heures ; hier soir, 1 heure et demi. J’en ai assez – et je vais prendre l’air aujourd’hui. Il fait un temps superbe. Depuis hier, tous les quarts d’heure, il tombe un obus expédié par un canon à longue portée. Quelle barbe ! Il y a des idiots après ça qui ne veulent pas de représailles… Ne vous inquiétez pas, je n’ai pas peur et il y a bien des chances qu’il ne m’arrive rien.
Bons baisers.
Sara
Quand la Prov[idence] a q[uel]q[ue] dessein, il ne lui importe guère de q[uels] instr[uments] el[le] se serve : Entre ses mains tout est foudre, tout est tempête, tout est délug[e], tout est Alex[andre], tout est César ; el[le] peut faire par un enf[ant], par un nain, […] ce qu’elle [a] fait par les géants, [et] par les héros[…]
[Jean-Louis Guez de]
La Croix de la Corrèze, 31 mars 1918. Archives municipales de Brive, 8 S 1170.