Mardi 2 avril 1918

Beaucoup de soldats irrités de l’indifférence apparente de Paris, scandalisés de son luxe et de sa frivolité se sont réjouis de voir bombarder la grande cité. Joie inintelligente. À côté du Paris coupable qui s’amuse malgré le deuil national, il y a celui, bien plus nombreux, qui travaille et souffre, prie et se dévoue. Le premier s’exhibe ; celui-là, on ne le voit point sur les grands boulevards. Je comprends mieux cette amie méridionale qui rentrée d’un court séjour dans Paris bombardé m’a dit : « En partant, j’aurais voulu baiser toutes les pierres de Notre-Dame. »

 

Mme L. m’amène des Parisiennes réfugiées. Je leur demande si l’on a un peu protégé Notre-Dame, le Louvre…

« Oui, on les a enveloppés à mi-hauteur de sacs de terre.

– C’est bien insuffisant.

– Oh, l’on aurait mieux fait de donner l’argent employé là aux gens dont les appartements ont été démolis ! »

Je regarde surprise ces Parisiennes qui font si bon marché de Paris, si barbares, pour dire le mot. Quoi, pas même l’amour propre local ! Dire à quelqu’un : « Tu es bien de ton pays » ce n’est pas lui faire un compliment. Lui dire : « Tu n’es pas de ton pays » serait pourtant un reproche plus grave. Ces Parisiennes-là ne comprendraient pas Lison, la bonne infirmière désolée du péril de Notre-Dame.

 

Paris filleul de guerre de sainte Geneviève.

La Croix de la Corrèze, 7 avril 1918. Archives municipales de Brive, 8S 1171.


Vendredi 5 avril 1918

Mot d’une petite réfugiée : « Oh ! madame ! j’ai tous les matins un bol de café au lait ; et bien sucré, vous savez ! »

 


Samedi 6 avril 1918

Mésaventure advenue dans la tranchée à des soldats bretons qui parlaient leur dialecte. En entendant ces sons , et ces Ya ! Ya ! des soldats voisins les ont pris pour des espions boches déguisés et criblés de grenades !

 

Gutturaux

Un son qui est émis au fond de la gorge; rauque


Dimanche 7 avril 1918

L’Allemagne est atteinte de la folie des grandeurs ; pas d’autre traitement pour elle que la camisole de force.

 


Lundi 8 avril 1918

La nuit est bien longue et bien noire, pleine de pièges ; quand l’aube luira-t-elle ?… Une clarté… c’est celle de l’incendie qui dévore le temple de Dieu et ta propre maison… une autre, c’est l’éclair qui foudroie la forêt prochaine… encore une… c’est la lueur de l’acier qui va broyer des chairs françaises… quand l’aube se lèvera-t-elle innocente ?

 

Conserves torpillées et avarices vendues comme les meilleures.

Marchande d’œufs qui écrase sa marchandise plutôt que de la vendre au prix imposé.

Réciprocité dans l’usure, non solidarité ; l’Évangile ; le christianisme, lettre morte.

 

 


Dimanche 14 avril 1918

Est-ce la faute des qui spéculent ou des autorités qui ne font pas le nécessaire ? Nos 300 gr de pain sont immangeables. C’est un bloc noir lourd, compact et gluant, semé de brins de paille. On se demande de quoi il est fait. Hier, enfin, les boulangers ont refusé de pétrir la farine livrée. Ce qui nous choque, c’est que partout aux environs le pain est passable. Nous ne prétendons être ni scandaleusement privilégiés ni sottement parias.

 

La ne remplace nullement le sucre ; c’est une drogue, non un aliment.

 

Pain immangeable fait, prétend-on, de farine de marrons d’Inde. En guise de sucre, de la saccharine qui donne des nausées ou de la mélasse qui rend le lait couleur d’encre et lui communique un goût de réglisse. Si l’on tente de se nourrir avec ces aliments, on tombe malade, mais nous sommes résolus à tout souffrir plutôt que la domination boche.

La Croix de la Corrèze, 14 avril 1918. Archives municipales de Brive, 8S 1172

 

La Croix de la Corrèze, 14 avril 1918. Archives municipales de Brive, 8S 1172.

Minotiers

Industriel qui exploite une minoterie. Une minoterie est un endroit où sont fabriquées les farines de céréales

Saccharine

Il est le plus ancien des édulcorants artificiels; elle est référencés sous le numéro E954. Le saccharine est ce qui produit un goût sucré.


Samedi 20 avril 1918

Il est plus facile de détruire Paris que de l’édifier ; et nous saurons le refaire ; et vous n’aurez su que le défaire.

 


Lundi 22 avril 1918

Il ne s’élèvera donc pas dans l’Allemagne soi-disant éclairée, soi-disant pieuse, une voix pour dire : « Ce héros français, pourquoi en faites-vous un martyr, pourquoi vous efforcez-vous de l’exterminer ? Ce noble, ce charmant pays, pourquoi en faites-vous un désert chaotique ? Ne savez-vous pas que nous nous appauvrissons de tout ce que nous détruisons ?… » J’écoute : rien ne vient de la Germanie que les sifflements reptiliens de haine et des obus, que les éclats stridents des bombes et d’un orgueil insensé que des sauvages clameurs et des lueurs d’incendies. Nulle voix humaine… nulle voix chrétienne…