Jeudi 1er mai 1919

Continuation de la série des vilains jours : pluie continuelle et vent. Le muguet montre à peine sur sa tige un ou deux grelots blancs parmi ses boutons verts.

Chômage général, magasins fermés, aspect morne. Les caboulots regorgent.

20 heures : clameurs, les curieux s’élancent sur le boulevard. Une cohue, au-dessus de laquelle vacille un drapeau rouge, s’avance agitée de remous. Le parti ouvrier manifeste, des portes, des fenêtres se ferment vivement. C’est un vieillard à belle barbe blanche qui porte le drapeau de l’insurrection ; quatre professeurs du collège et des soldats font partie du cortège qui essaye de chanter l’Internationale et, ne la sachant pas, beugle un moment les premiers vers puis ne profère plus en fait d’hymne révolutionnaire que des vociférations. Une foule énorme suit, ce qui, jouit aux verres vidés, excite les manifestants. La troupe est consignée, la police s’est éclipsée prudemment.

Je songe aux grenouilles qu’on ap[p]âte par un chiffon rouge et qui, saisie[s] par l’hameçon caché derrière, sont frites et croquées.

Sur la place de l’hôtel de ville, on conspue le maire ; puis comme il pleut décidément trop et que nul adversaire à combattre ne se présente, le parti ouvrier, ou ce qui est censé le représenter, va achever de se saouler au cabaret ; l’un des manifestants, plus « pinté » que les camarades, reste en panne et pousse des appels qui ne ressemblent ni à ceux d’un homme ni à ceux d’aucun animal connu.

Avant même que la paix ait été traitée, célébrer l’Internationale à l’issue d’une guerre qui a férocement fait s’entre-massacrer les nations, qui a fourni à l’Allemagne une nouvelle occasion de ravager et d’affaiblir la France, semble une incroyable aberration. Mais Wilson, les Yanks ne veulent-ils pas, sous le nom de Société des Nations, une Internationale ? Seulement la leur est universelle ; ici c’est celle d’une classe ; donc la première semble plus viable, meilleure mais dans toutes deux, selon les clartés, les vertus ou les vices des individus, il s’agit soit de vraie fraternité soit d’exploitation déguisée.

 

Si la Providence faisait grève, si le soleil refusait sa lumière…

 

L’Allemagne n’a pas pu vaincre par les armes, mais elle réussit à faire chanter l’Internationale à ses ennemis. C’est un succès remarquable.