Je me demandais depuis tantôt un an pourquoi une Autrichienne de 23 ans, parlant mal notre langue, était au lycée de jeunes filles professeur de français, et pourquoi mademoiselle Erica Diehl s’était logée fort à l’étroit au haut d’une tour qui domine la vallée. Depuis le commencement de la guerre, cette énigme m’intriguait de plus en plus. Peu à peu, j’apprenais qu’Erica, élevée en Autriche, née d’une Autrichienne et d’un Alsacien ( ?), avait déjà habité la Russie et l’Allemagne, comptait des parents dans l’état-major autrichien et dans l’armée allemande, recevait d’Allemagne jusqu’à ses journaux de modes, ne possédant guère que des livres allemands, attirait chez elle des parents d’élèves, des protestants, pasteur en tête, enfin faisait d’excellente Kultur. J’avais cru devoir communiquer ces détails à l’une des notabilités de la ville qui m’avait dit riant : « Bah ! c’est la phobie de l’espionnage qui vous a gagnée ! » Mais on a voté une loi permettant de retirer la naturalisation aux nationaux des pays ennemis. Naturalisée de fraîche date, Erica Diehl a senti le terrain mouvant, ou bien a compris qu’il était inutile, voire dangereux, d’attendre ses compatriotes à Brive ; et sous prétexte d’aller se préparer au doctorat à Paris, elle est partie subitement, quittant son poste d’observation et de professeur de français…