Jeudi 19 août 1915

 

La semence empoisonnée, abondamment jetée par les corrupteurs boches, a germé dans les terres incultes… ou dans celles qu’une culture anti-française a préparées…
Hier, je montrais des photos de villes en ruines, Reims, Soissons, Senlis, à ma femme de ménage qu’excuse sa crasse ignorance mais qui commence à me paraître vraiment « sale bête ».
« Les Français en font autant m’a-t-elle affirmé péremptoirement.
– Pour en faire autant, ils ne sont pas en Allemagne. »
Ce matin, dans une explosion de haine, je ne sais même plus à propos de quoi, elle a déclaré :
« Si j’étais aviateur, je jetterais des bombes sur tous les châteaux, je les détruirais tous.
– Vous trouvez que les Allemands n’en détruisent pas assez ?
– Tous ces richards envoient les pauvres se faire tuer, et eux, ils restent bien tranquilles.
– On tue plus de pauvres que de riches parce qu’il y en a davantage… « Ia mais de fermies que de picatals » (Il y a plus de fourmis que de piverts). Mais cherchez autour de vous. À Puymaret, les deux gendres ne sont-ils pas morts ? N’y a-t-il pas deux petits orphelins ? À Cosnac, ne voyez-vous pas la tombe fraîchement fermée du soldat , petit-fils de la marquise ? À Neuvic, on pleure [le] vicomte Jean d’Ussel. M. René Bousques et M. , ces deux derniers morts, victimes d’un dévouement héroïque. Au Saillant, un de Lasteyrie. À Castel Novel, les châtelains servent le pays par la plume et par l’épée. Chez les de Lamaze, il manque deux fils, le troisième est au feu (les de Lamaze, leurs deux fils et leurs trois neveux). À la Grande Borie, les deux fils sont à la guerre, le plus jeune s’est engagé à 17 ans. Celui de Mlle Bouvier, prisonnier. Chez M. Thiroux du Plessis, n’y a-t-il pas deux jeunes veuves ?
– Oh, ça ne prouve pas qu’ils se soient battus ! Le fils Delmond n’était pas au front et il a été tué par une bombe.
– Ah ! qu’on se fasse tuer ? Mais vous savez bien que le gendre de M. Miquel a perdu sa santé dans les tranchées, que celui de Mme Bordier y est en ce moment.
– C’est qu’ils n’ont pas pu arriver à s’embusquer…
– Ce sont deux bons chrétiens et les bons chrétiens sont de bons soldats. Je ne vous croyais pas si méchante. La famille Bordier vous a constamment fait du bien, le gendre est un brave et bon soldat, et vous osez parler ainsi !
Ce sont les riches qui payent pour qu’on fasse la guerre et qu’on tue les pauvres…
– Mais, espèce de tourte, qui est-ce qui perd le plus à la guerre ? Ceux qui n’ont rien ou ceux qui ont quelque chose ? Si les Boches étaient ici, qui prendraient-ils en otage ? Vous, moi ou le banquier Roque ? Qui verrait piller ses coffres, sa vaisselle, ses meubles ? Les richards.
– Oh ! après ça, ils seraient encore plus riches que moi.
– Ce n’est pas la question. Ont-ils intérêt à faire faire la guerre ?
– … Le maire de Dampniat a dit qu’il était content qu’on la fasse, que ça irait mieux après. Et le député Lachaud a dit qu’il fallait du sang.
– Halte là ! Vous ne comprenez pas ce qu’on dit devant vous et vous vous croyez trahis. Les Allemands nous insultaient, nous menaçaient tout le temps, nous demandaient tous temps de leur céder quelque chose de plus. Il fallait se battre ou tout leur donner et devenir leurs domestiques. Et tout ce que vous dites-là, ce sont eux, pauvre femme, qui vous le font dire, ils envoient de fausses lettres d’amis, ils font courir de faux bruits et vous répétez tout ça.
– Oh ! nous savons bien que  et  se sont entendus et qu’ils s’arrêteront quand ils auront juste le compte d’hommes qu’ils veulent garder… »
Cette fois ma colère tombe et je pouffe de rire à l’idée d’une telle entente ! Puis je m’afflige un peu de l’inanité de mes efforts : les illettrés ne croient que ceux qui les trompent. L’éducation du peuple est à peine ébauchée.

Mots de Viviani.
Virus, microbes.

Le portrait de la reine. Le caporal, le lieutenant, le capitaine et le colonel se le disputent. Le caporal, obstiné comme le soldat de Soissons, refuse l’image à ses chefs.

La  fait soutenir le colosse par une frêle créature.
Je fournis au prisonnier Albert H. le vivre et le vêtement.

Après tout, le droit chemin est toujours le plus court, même pour aller au ciel…

 

Carte-photo. Collection Cédric Foussard.

Carte-photo. Collection Cédric Foussard.

 

Reims

 

Collecte 14-18. Plaque de verre de Reims, fonds Françoise Dalmas 19NUM.

Collecte 14-18. Plaque de verre de Reims, fonds Françoise Dalmas 19NUM.

 

Soissons

 

Collecte 14-18. Carte postale, fonds Lagarde 24NUM.

Collecte 14-18. Carte postale, fonds Lagarde 24NUM.

Aymeric de Chalup (1894-1915)

Fils de Marie-Louise Angèle de Cosnac et Marie Antoine Robert Chalup.

Louis Lagane (1882-1915)

La Croix de la Corrèze, 15 août 1915. Archives municipales de Brive, 8 S 1033.

La Croix de la Corrèze, 15 août 1915.
Archives municipales de Brive, 8 S 1033.

Raymond Poincaré (1860-1934)

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 1939.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 1939.

Né à Bar-le-Duc (Meuse), Poincaré est le président de la République française durant la Première Guerre mondiale. Il est l’artisan de l’Union sacrée, expression invitant les Français à faire taire leur rancœur et à s’unir.

En savoir plus

Guillaume II de Hohenzollern (1859-1941)

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 841.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 841.

Né à Berlin, Guillaume II est le dernier empereur (Kaiser) allemand et le dernier roi de Prusse.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.

Providence

Le terme désigne Dieu « en tant qu’ordonnateur de toutes choses ».

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.