Mardi 15 juin 1915

 

Dans le salon de Mme P.
Deux vétérans de 1870, capitaines grisonnants mais encore solides, nous reprochent nos « coupables gâteries » pour les soldats au front et les prisonniers.
« Vous êtes trop sensibles toutes, vous les dorlotez, vous les énervez ! Ils font la  dans les tranchées avec ces colis innombrables que vous leur envoyez…
– Permettez, Monsieur, en fait de bombes, ils ont surtout celles des Boches !
– Et cet hiver, vous les accabliez de cache-nez, de bonnets de nuit. En 70, moi, je n’avais qu’une capote trouée, n’est-ce pas Peyre ?
– Et moi je n’en avais pas du tout, t’en souvient-il, Martin ?
– … Mais vous n’auriez peut-être pas été fâchés d’avoir des chaussettes, un gilet…
– Du tout, le froid, le chaud, la faim, tout cela aguerrit. Aujourd’hui, vous mettriez les soldats dans du coton, dans du duvet, si vous pouviez…
– En 70, tout manquait… Aujourd’hui, nos soldats bien pourvus se battent de meilleur cœur.
– On n’a pas besoin de ça pour faire son devoir…
– Mais les prisonniers qui demandent du pain, du linge, vous ne voudriez pas qu’on les laisse périr de besoin ?
– Bah ! je suis resté neuf mois en captivité. J’étais exactement nourri comme les prisonniers d’aujourd’hui, je n’ai jamais reçu un sou ni un colis et je suis bien revenu.
– Mais les prisonniers que nous avons adoptés, mes élèves et moi, sont [dans] des régions envahies et ne savent même pas si leur famille, leurs enfants sont en vie…
– Hum !… Oui… ceux-là sont un peu à plaindre… mais vous les gâtez ridiculement, j’en suis sûr ! Et puis ce sont les Boches que vous ravitaillez… »

 

Bombe (argot)

Fête, débauche, beuverie.