Mardi 24 septembre 1918
Tout m’est amer, que je ne peux plus partager avec la disparue. Les raretés, les belles et bonnes choses que des amis attentionnés m’envoient ces jours-ci, m’attristent non moins qu’elles me touchent en me faisant songer qu’elle en est privée…
Au cimetière, quand je m’agenouille devant ce tertre fraîchement remué, à l’idée que ce corps d’où je sors moi-même, qui m’a bercé, que j’ai soutenu à mon tour, est là, j’ai envie de gratter la terre, de déblayer, d’arracher cette dépouille, de la reprendre. Puis je songe que tout cela n’est pas chrétien, que je dois harmoniser mes pensées avec nos communes croyances qui font de la vie un moyen, non une fin. Et même au point de vue humain, l’existence est-elle autre chose qu’un moyen, la mort de millions de soldats immolés à la survivance de la nation n’en est-t-elle pas en ce moment-même une preuve d’une grandeur, d’une évidence inégalée ?