Mercredi 30 janvier 1918

Nuit claire et sereine.

Bombardement prolongé qui commence à 11 h. Tout était éclairé. Pas d’avertissement préalable ; le canon qui tire sur les ennemis annonce seul leur présence, la sirène passe tardivement. Émoi ; conseils contradictoires :

« Vite à la cave !

– Non ! si les conduites à gaz sont crevées, c’est l’asphyxie ; si ce sont les conduites à eau c’est la noyade !…

– Ne vous mettez pas sous la cage de l’escalier.

– Ni près de la rue… Alors où ? Il y a 3 rues et l’escalier en bordure… le mieux est de rester dans une encoignure au rez-de-chaussée. La maison n’a que 3 étages et l’escalier au milieu. Tout sera traversé…

– Éteignez tout ! »

On marche à tâtons au bruit des décharges. Les enfants crient et pleurent. Incident : M. L. se met tranquillement au balcon et allume une cigarette. D’un soupirail d’en face, des voix irritées l’apostrophent : « Eteignez ça ! Misérable ! Vous êtes un Boche, un indicateur ! » M. L. n’a cure des reproches et du péril. Demander à Robert B. ou à Pierre M. quel effet peut faire de 2 000 mètres une cigarette allumée ?… Fracas affreux. Une bombe est tombée quelque part pas loin ; des explosions plus lointains succèdent, M. L. fume toujours au balcon… Les enfants, énervés, ne retrouvent pas le sommeil de deux ou trois jours.

Froid de la cave.

Retrouvé dans les papiers de mon oncle, un catalogue de la maison allemande Bosch et Cie (magnetos). Bosch n’est pas de langue germanique, donc ces Bosch sont d’origine française et méridionale ; le bosc, le bosch, en langue d’oc, c’est le bois.

Mais boche veut bien dire tête dure, groin, gueule de bête sauvage qui sort de sa tanière, du fond des bois pour surprendre et déchirer une proie paisible.

En Allemagne, il y a beaucoup de Boches et quelques Allemands ; chez nous, il y a beaucoup de Français et quelques Boches…

On n’a que des pommes de terre. Bah ! puisque ce sont des pommes de terre saucisses, c’est un plat gras !