Samedi 1er avril 1916

 

Entre le troupeau imbécile et les loups déguisés en bergers, qui choisir ? Le bon Pasteur. Mais celui-ci veut-il qu’on laisse égorger ses ouailles ? Mainte bergère de nos champs brise, à l’occasion, les dents du loup à coups de sabot. Exemple à suivre.

Discussion avec le Belge au sujet de l’Angleterre.
Le sucre et les ménagères.
Suzanne m’offre pour les éventuels bombardements l’asile de ses caves voûtées.

 


Dimanche 2 avril 1916

 

Histoire vraie… ou fausse.
Un prisonnier envoie à ses parents, une vieille paire de souliers, tout éculée, toute usée avec prière de la faire ressemeler. « Faire raccommoder de pareilles « groules » ? Non, certes. Mieux vaut envoyer des chaussures neuves. » Mais le prisonnier insiste. Alors on tente l’opération. Quand la semelle tombe, il en sort un billet : « En Allemagne, tout va très mal, on ne pourra tenir longtemps. Nous souffrons, mais nous espérons que vous abattrez l’ennemi et que vous nous délivrerez bientôt. » J. B.

Civils.
Une pauvre vieille, qui possède trois chèvres, mène chaque soir ses bêtes lorsqu’elles ont bien brouté à l’hôpital où elle offre du lait aux blessés. Ceux-ci l’ont surnommée : « la mère Napoléon ».
Un vétéran de 70 amputé, ne pouvant aller se battre, vient avec sa femme veiller les blessés.
Mes petits élèves, Jean et Marcel, font les commissions des blessés ; Jean va quêter pour eux, des œufs, du lait, des fruits ; l’un d’eux a mal de gorge. Jean file à bicyclette et rapporte du miel de chez un cultivateur.

Nouvelles sensationnelles :
« Paraît, dit une bonne femme de la campagne, que les Allemands sont à Bordeaux et qu’ils vont venir à Brive par Capdenac… »
« Je vois bien, geint une autre, qu’avant la fin de la guerre, ils viendront bombarder Tulle et Brive… »

 


Lundi 3 avril 1916

 

4 heures.
Voilà le bombardement prédit : lueurs sinistres, décharges formidables. L’une qui produit un éclatement métallique très sec me fait tressauter : la… la plus haute maison de la rue a reçu la décharge. Sur le foirail, dans l’avenue, puis sur une maison, nouveaux foudroyements. La maison prend feu ; la propriétaire, une pauvre femme qui perdit à la guerre son fils et son mari, trouve en rentrant d’un enterrement sa demeure en flammes…

 


Mercredi 5 avril 1916

 

250 blessés de Verdun. Arrivés à 10 h, ils n’ont pas mangé à 3 h et attendent dans les corridors qu’on les case. Quelques-uns s’échappent pour acheter du chocolat.
Cheveux et visages brûlé. Le surlendemain, contrordre, on les rembarque pour Tulle…
Ma colère. J’offre ma soupe et mon café !

 


Vendredi 7 avril 1916

 

Le dernier des misérables, ce n’est pas… le… détrousseur de morts, l’incendiaire de chefs d’œuvre, le massacreur de femmes et de bébés, la brute immonde vautrée dans le sang, le vin et la boue, le pétroleur… c’est ce conducteur de peuple qui, froidement, commande ces crimes et les nie, qui ment à jet continu, trompe ses pitoyables compatriotes, outrage Dieu en l’invoquant. Surmonstre de venin et de pus nauséabond, suppôt de Satan, rebut de l’humanité qu’il prétend diriger et précipite dans les abîmes… infernaux.

Dieu, Droit, devoir. Ces mots ne sont plus que dérision ou blasphème dans la bouche des Allemands. Ils ont perdu tout droit d’invoquer le droit, de réclamer d’autrui l’accomplissement d’un devoir.

 


Mardi 11 avril 1916

 

Pour ceux qui luttent là-bas sur le front, c’est l’enfer ; pour nous, à l’arrière, anxieux, angoissés, profondément affectés de ce qu’on nous savons, redoutant ce que nous ne savons pas, c’est comme une agonie solitaire dans les ténèbres.

Cinquante jours de supplice… non, 617 jours.
En face d’autrui, j’affecte la tranquillité.
Des alarmistes, [de] retour de Paris – pourquoi revient-on ces temps-ci alarmiste de Paris ? – me disent :
« Dans un mois, les Boches auront envahi la France.
– Et le mois suivant, l’Angleterre ; et le troisième, les États-Unis…
– Vous avez l’air de rire, mais c’est un député qui m’a assuré cela…
– Pour tenir des discours si moches, il est donc payé par les Boches ? »
Mais seule avec mes réflexions, je me retrouve non abattue mais bien triste.

Histoire de bombes, de cinéma et de lions échappés.

 


Samedi 15 avril 1916

 

Veille des Rameaux.
Trois pauvres femmes ont fait sous le porche de Saint-Martin des étalages de buis et de laurier. Je vais m’approvisionner à celle qui m’a paru la plus pauvre, et dont le laurier, un peu jauni, et le buis aux flasques pousses nouvelles n’attire pas. « Ces branchettes, je les prends pour moi ; mais coupez-moi maintenant celles-ci qui sont plus fraîches et qui se conserveront mieux : c’est pour des prisonniers. » Alors la marchande entassant des rameaux sur mon bras. « Ceux des prisonniers je vous les donne. » Ses yeux se sont embués ; je remarque alors sa robe noire. « Je voudrais bien que mon fils fut prisonnier au lieu d’être… » Les larmes qui glissent achèvent sa pensée. « Merci, bonne mère, je leur dirai que vous avez donné vos rameaux. Cela leur fera plaisir. »

 

Raphaël GASPERI, "Le Dimanche des Rameaux (Haute-Corrèze)". Carte postale, archives municipales de Brive, 3 S 103.

Raphaël GASPERI, « Le Dimanche des Rameaux (Haute-Corrèze) ».
Carte postale, archives municipales de Brive, 3 S 103.

 

Raphaël Gaspéri (1866-1935), né à Prayssac dans le Lot et décédé à Brive, est un paysagiste régional et un dessinateur. Il fut professeur et conservateur du musée de Brive.


Dimanche 16 avril 1916

 

Avec les préoccupations, la tristesse que la lecture des communiqués et les pronostics des critiques militaires viennent de remuer en mon esprit, je remonte la rue à 8 heures du soir pour rentrer au logis. « Tiendra-t-on toujours sous ces bombardements incessants devant ces assauts multipliés des Boches ? Tant de braves tombent. En restera-t-il assez pour vaincre ?… » Une fois de plus, le ciel m’envoie, comme une éclatante vision, un présage de victoire : mes yeux levés aperçoivent au sommet de la rue, dans le ciel clair, et se découpant sur la lune épanouie, le coq du clocher, le coq gaulois, superbement dressé et rutilant de lumière dans ce nimbe vraiment céleste…

 


Lundi 17 avril 1916

Œufs de Pâques : obus de toutes tailles ; coiffures militaires des alliés ; souliers boueux et marmites du poilu, et force rubans tricolores.
Modes. Costumes de nurses, mais la raison ne va pas jusqu’aux souliers et aux chapeaux.

 

 

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 982.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 982.


Mercredi 19 avril 1916

 

Bonne humeur.
Le cuisinier n’a plus de sel pour le  : « T’en fais pas, cuistot, dit un poilu en ouvrant une cartouche, v’là du sel et du poivre. » Et il jette la poudre dans la marmite.
Chapuzot regarde ses manches qui se trouent au coude et prononce gravement : « Un grand jour se prépare ! » On apporte le rata plein de terre et de sable. Il assure : « On n’engraisse pas les porcs avec de l’eau claire ! »

 

Collecte 14-18. Carte postale, fonds Georges Nadine 21 NUM.

Collecte 14-18. Carte postale, fonds Georges Nadine 21 NUM.

Rata

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 827.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 827.

À l’origine, terme du vocabulaire militaire signifiant un mauvais ragoût servi à la troupe.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.


Jeudi 20 avril 1916

Cloches.
Dans l’air frais du matin, un carillon clair, dominé par la voix grave de la grosse Charlotte-Augustine, éclate soudain. J’interromps mon travail : une prière muette jaillit de mon cœur. O cloches qui partez pour Rome en cette deuxième année d’épreuves, rapportez-nous ce qui nous est le plus nécessaire. Est-ce la victoire, est-ce la paix, que je dois souhaiter ? Combien l’une et l’autre sont désirables, seraient bienfaisantes ! Cloches de mon clocher, cloches de France, le vrai remède à nos maux, la foi. La foi qui nous rendra forts, meilleurs, plus heureux, victorieux à jamais…

 

 


Vendredi 21 avril 1916

 

Lettre écrite à notre filleul de guerre le prisonnier Albert Héry, par ma chère élève, Mimi Lafarge :

Brive, 21-4-16
Cher prisonnier et frère de guerre,
Je me réjouis d’être désignée aujourd’hui pour vous écrire et voici la double cause de ma joie : d’abord la pensée de vous donner un peu de consolation en vous parlant de la France ; ensuite, de vous exprimer ma sympathie. On dit que vous êtes souffrant ; pour cette raison nous sommes deux fois frères, car moi aussi, je suis malade. Je vis souvent seule et il m’arrive bien des fois de penser à ceux qui, comme moi, souffrent dans la grande famille humaine que nous formons. Alors mon cœur s’émeut à la pensée des chers lointains et comme mon espérance est au-delà de ce monde, je prie Dieu qu’Il donne à tous forces et courage ; et unissant ma souffrance à celle de son fils Jésus, j’offre ma vie pour le soulagement des malheureux. Ainsi donc, cher frère de guerre, vous aurez désormais une pensée de moi tous les jours. Voici ce qu’on me dit de vous annoncer : du pain de régime, du lait concentré, du pain d’épice, du sucre et des rameaux bénits. C’est la coutume chrétienne de faire bénir des branches d’olivier ou de buis en souvenir du jour où le Fils de Dieu entra dans Jérusalem, où le peuple témoigna sa joie de le voir en semant ces branches sur son passage. Que ces rameaux vous parlent de la France et consolent votre cœur de l’exil. C’est notre désir que vous soyiez fort, patient. Bonne santé ! Donnez autant que possible de vos nouvelles et recevez mon souvenir fraternel.

 

Marguerite Lafarge

 


Dimanche 23 avril 1916

Effroyable suffisance d[u] peuple qui, parce qu’il ânonne et parvient à écrire une lettre informe, dit : « À présent, to[ut] le monde est « instruit ». À pré[sent] on n’est plus « couion », on ne veut plus se faire tuer pour les riches. »
Pauvres êtres ignorants qui se croient « instruits », « savants », et qui n’ont pas même l’idée de ce qu’est vraiment l’instruction, et ignares se croient malins, et aveugles veulent tout conduire.
Dans le train, de Tulle à Brive, querelle entre un gros monsieur et deux soldats. Ces derniers l’ont traité d’ ; le civil s’écrie : « J’ai envoyé trois fils à la guerre et l’un d’eux a été tué. » Alors les soldats fulminent contre la guerre : « On pouvait l’éviter, dit l’un d’eux, avec de l’argent. »
(Toujours ces malheureux qui susciteraient mon indignation s’ils ne me faisaient pitié.) Le gros monsieur leur fait remarquer que l’Allemagne avait prép[aré] la guerre et que rien ne pouvait l’empêcher de la faire.
« Qu’est-ce que cela me fait d’être Allemand ou Français, dit le second soldat, pourvu que ça finisse.
– Misérable ! dit le gros monsieur. Vous n’êtes pas digne de porter l’uniforme français. Répétez ce que vous venez de dire et à la prochaine station, je vous fais arrêter.
– Pourquoi me battrai-je ? Je n’ai rien.
– Votre pays est votre grande famille, et si votre pays est libre et prospère, vous en profitez. »
Les soldats ricanent ; le civil renonce à éclairer ces intelligences fermées.
Je lui dit doucement : « Monsieur, il faut plaindre ces pauvres garçons. D’abord, ils se conduisent mieux qu’ils ne parlent. Puis, vous voyez, ils ne savent pas, ils n’ont pas appris, ils ne se doutent pas. Il faut être très patient, très charitable avec ces enfants rebelles. Nous avons poussé en pleine clarté, eux dans les ténèbres. Nous sommes des privilégiés, et pour ces déshérités, il n’y a comme pour des aveugles d’autre lumière que l’amour. Guidons avec une patiente douceur leur cécité. »

Lettre de l’ouvrier Levé dont les autres disent : « Il est instruit ! il a son certificat ; avec deux mois de plus, il serait été reçu instituteur ! »

Lecture du journal à l’hôpital : « Où c’est  ? »

Monomanie de l’égalité, fétichisme de la Révolution, fanatisme.

 

***

 

Chèr oncle et tante
Je prend un petit moment pour vous faires Savoir de mes nouvelles qui sons toujour très bonnes pour le momens. Et cet ainçi que je souhaite et que je desire que ma presente carte-lettres vous trouveras tous bien de même.
Chèr oncle et tante je puis vous dires que depuis un mois je suis en 1ère lignes. Enfin ca ne barde pas trop pourvus que sa dure ces se qu’il faut.
Mais je crois que un de ces jour ons vas etre relever et on vas aller aux repos. Pour au moins un mois. Je puis vous dires que le trop manger nous ampêches pas de courir. Nous avons pas trop mauvais temp. Les nuits sont un peu froide. Nous avons pas de tranchée nous sommes a la çimes de montagnes. Vous souhaiterais bien le bonjour à chez Leonard pour moi. Bonjour à toute la famille. Vous embrasserais mon parraint pour mois. Votre neuve qui pensent toujour a vous tous et vous embrassent de tous son cœur.

 

***

 

Mon cher Jeanmajor
Je vou pri de bein vou loir re gardet si jenet pa une létre de ma femme qui ma et tes en voidier penden les premiet jour que j’es tes en permision de vin jour la drèsede ma femme et dé rière
Mon cher Jeanmajor je vou pridivouloir bein vou au cupédema létre qui contien un pe darjen Roubinét Firmin au 126 dinfenteri c au ran Roubinet au petigai c de savignac lédrier Dordogne

 

***

 

Lettre de soldat (1914)
Cher Camarade,
Depuis longtemp, j’aurai voulu disposer d’un moment pour vous passer un mot de lettre, més etant toujour en plaine campagne dans des tranchée on ne trouve jamais le moment ou toujours on manque de quelque chose. Enfin aujourd’hui je me trouve le moyen de realiser mes désirs afin de vous faire savoir que je suis en bonne santée et désire que vous soyez de même, vous et toute la famille. Je serai bref car n’ayant pas beaucoup de temp je me bornerai à vous raconter mon voyage lorsqu’on se reverra ce qui ne se fera pas attendre tré longtemp je l’espère.
Bonjour aux ami que je connait et aux voisins.
Chez Bernical
Je termine, en vous serrant une cordiale pogné de main et je suis votre camarade
Francois Levet, soldat
95e territorial à Toul
12e compagnie

L’auteur veut être bref mais parle beaucoup pour ne rien dire.

 

***

 

Du même à sa femme

 12-1914
Chere Marissou,
Je vien a la hatte te faire part que j’ai reçu la lettre recommandee que j’ai reçu hier y compris le billet de 20 franc. En plus un mandat de 20 franc daté du 23 aout. Je l’avais reçu il y a 10 jours.
Nous sommes à 10 kilomètre de la frontiere à 500 mètres de l’armée Allemande ils sont dans des forêts et je te garantie qu’on leur joue une musique avec le canon qui doit les faire dansé mais nous ne les voyons pas. Nous avons pris aujourd’hui notre premiere Journée de repos sans cela nous sommes constament dans les tranchees ou dans les forêts mes nous n’avons encore pas bruller une cartouche on est passé pret bien des fois c’est surtout une guerre d’Artillerie ce qui que nous ne les voyons pas souvent ce que nous avons vue nous avons entendu siflé les obus Allemand par dessus nos têtes et aller eclater à 500 m ou un kilometre au delà nos troupes les ont repoussé et depuis l’on entend le canon de plus loin enfin j’en dit pas plus long je reserve se plaisir à mon retour. Soyez rassuré que maintenant nous or de danger et je compte a la toussain etre parmi vous entrain d’epluché un poulet dont nous sommes Ajun depuis longtemp. Chère Marie J’ai bien regret de songer que je vien constament te faire appel pour avoir de l’argeant mes cette foi j’espere bien ne plus en avoir besoin. Afin de vous embrasser de tout mon cœur recoit les meilleurs amitiés d’un mari qui t’aime. Embrasse bien toute la famille pour moi dit leur que compte les revois sous peu
Levet

 

 

Embusqué

Militaire affecté, par faveur, à un poste éloigné de tout danger.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.

Vilna

Nom russe de Vilnius (située aujourd’hui en Lituanie).

Blénod-lès-Pont-à-Mousson

Commune située en Meurthe-et-Moselle (Lorraine).


Jeudi 27 avril 1916

 

Salle d’hôpital.
Ils sont là, vingt blessés dans deux rangées de lits blancs, le long de la salle claire, au parquet ciré. Une « sœurette », jeune bonne et mignonne, veille sur eux. Toute la France est représentée. Un Corse et un Savoyard amputés chacun d’une jambe sympathisent dans une commune disgrâce. Voici un Lillois à l’abdomen rapetassé dont la grande préoccupation est un petit coq de combat laissé au pays et qu’il n’aurait pas donné pour une fortune… Voici un Marseillais loquace, patte cassée (folle comme il dit) et « biftec » enlevé ; son langage et son accent savoureux évoquent la bouillabaisse l’ailloli, la brandade, les pommes d’amour, le poivron, les oursins, l’eau et l’air de la mer. Voilà un Breton de Quimper, une fracture de la hanche ; 7 mois de lit. Froidement obstiné, celui-ci oppose au Provençal fier de son soleil et de ses fleurs, les charmes de la Bretagne ; et si disert qu’il soit, le Marseillais, reste cloué par cet argument irréfutable découvert par le Quimpérois : « Enfin, chez toi, la mer ne monte pas et ne descend pas 2 fois par jour ! »
Voilà des  de Verdun, les cheveux, la barbe, le visage brûlés par la chimie boche ; des momies dans leurs bandelettes mais qui sourient à mon bonjour affectueux, à mon panier d’oranges et à ma [illisible] de lilas.
Voilà un Flamand de la classe 16, affligé d’un énorme abcès à l’aisselle, et qui fait penser à un jeune chat écorché, à un agneau tondu. Les yeux bleus faïence regardent toujours droit devant eux avec une expression de stupeur figée. On l’a surnommé l’Ancien parce qu’il pleurnichait chaque fois qu’on l’appelait le bleu.
« Je voudrais bien sortir », soupire l’Ancien.
– Pourquoi faire ?
– Pour faire la noce !
– C’est peut-être parce que vous l’avez trop faite que vous êtes malade. »
La stupeur des yeux fixes s’approfondit :
« Moi ? je ne l’ai jamais faite. Je ne sais pas ce que c’est. Je disais ça pour parler.
– Eh ! bien ! ce n’est pas le moment de commencer. Tenez, voilà un journal illustré pour vous distraire. »
Dans le lit voisin, s’agite un petit garçon de 6 ans, Jan Bouillaguet ou plutôt Jantou. « C’est pas moi, Bouillaguet, c’est papa, dit l’enfant. Moi, je suis Jantou. », dont la plaie à la jambe ne peut guérir.
Je m’approche.
« As-tu été sage, Jantou ?
– Non, Madame.
– Tu as encore marché pendant que sœur Marie n’était pas là ?
– Oui Madame.
– Tu ne veux donc pas guérir ?
– Ça fait rien. Je suis bien ici.
– Je t’ai porté une orange mais puisque tu n’es pas sage…
– Il n’a pas menti, me crient les soldats. »
L’orange passe aux mains de Jantou qui disparaît avec son butin sous les draps parce que le médecin entre et qu’un blessé farceur (facétieux) a prévenu le petit que le docteur lui « ouvrirait la tête pour savoir ce qui le rend si polisson ». Battu comme plâtre au « taudis » paternel par un père alcoolique et une mère dévergondée, Jantou est ici choyé par tout le monde. assis sur son lit.
Le gamin chante une chanson sentimentale et patriotique :
« Si je meurs, sur mon tombeau
Que l’on dépose un drapeau,
Bleu, blanc rouge… et tricolore… »
À quelques pas, un autre enfant, un grand et brave enfant de la patrie Y a Bon celui-là, un Sénégalais baptisé, découpe en ombre chinoise sa tête noire sur la blancheur des draps.
Apercevant deux visiteurs, un vieux couple très élégamment vêtu à cheveux blancs, il s’écrie avec joie : « Papa et Maman ! » C’est le père et la mère de l’infirmier – un jeune millionnaire pas très costaud. Celui-ci nommant le vieux monsieur et la dame âgée « papa et maman », Sidi ne croit pouvoir mieux faire que de l’imiter, et le vieux couple justifie sa manière de voir par force gâteries.

 

L'Illustration, 9 janvier 1915. Archives municipales de Brive, 30 C 23.

L’Illustration, 9 janvier 1915. Archives municipales de Brive, 30 C 23.

Récapé

Terme venant du patois picard signifiant rescapé.


Dimanche 30 avril 1916

 

Anecdote.
Le colonel Charrier rencontre une compagnie du 126e d’infanterie qui revient des tranchées ; En quel état sont les hommes, on le devine, cuirassés, bottes, casques de boue.
« Eh bien, les , ça va ? » leur crie le Colo.
Les soldats qui ne le connaissent pas le regardent et se regardent surpris, puis saluent, en souriant de l’à-propos.

Titi, Dédé, Jojo et compagnie jouent au soldat. On s’est distribué la panoplie de Dédé. Celui-ci n’a gardé que le sac. Popol, général inspecteur, passe la revue.
« Qu’est-ce que tu es toi ?, dit-il à Titi.
– Caporal trésorier.
– Ah bon ! Toi, Jojo, tu es porte-drapeau, je vois. Et toi ? » Dédé se redresse fièrement : « Moi ? Je suis porte-sac ! »

Berceuse chantée, au fond d’une pièce noire, dans une rue sombre : « Mon p’tit Waterloo ( ?) aime tant son lolo ! »

 

Peds terrous

Pieds terreux, en occitan.