Dimanche 7 janvier 1917

 

Soixante jours de pluie. Tout novembre, tout décembre à peu près. Le canon en est-il cause ? On n’a pu faire les semailles d’automne. Quelle récolte aurons-nous et là-bas, dans les tranchées, les soldats ont de la boue jusqu’à la ceinture ; il faut les en arracher avec un câble ; les pieds se gèlent ; certains, au lieu de demander à être relevés, se laissent geler pour qu’on les évacue ; d’autres se pendent pour mettre fin à leur supplice. Parfois la tranchée s’éboule, ensevelissant les défenseurs, ou bien un pauvre soldat se noie dans la boue au fond d’un entonnoir. Un disparu de plus.

On a invité, pour tirer les rois, un pauvre briquetier de Béthune, le sergent Lafisse qu’une blessure près de la colonne vertébrale a vouté comme un vieux. La coutume est inconnue chez lui ; la volaille rôtie, le bon vin, la couronne dorée incrustée de cabochons, d’angélique et de cédrat, la franche bonhomie de ses hôtes lui délient la langue. Il conte les usages de son pays : la saint Éloi, le marteau baisé par les passant et appliqué même sur le museau des chevaux, des vaches, des chiens et des chats. Comme on a gentiment triché, l’invalide est roi. Tout confus des acclamations, il choisit la riante petite Suzon pour reine puis, songeur, attendri, il place soigne[use]ment la fève « pour la donner plus tard à sa petite fille, restée là-bas ».