Mercredi 25 décembre 1918

 

Noël 1918.

Depuis un mois, il pleut ou bruine ; aujourd’hui dans cette brume grise, molle, ce suintement, on se croirait à la période diluvienne. La grippe me confine seule au logis ; mais songeant à la cessation du carnage, au retour de l’Alsace-Lorraine, je trouve la fête très belle.

Le bonhomme Noël est de plus en plus militariste, il porte des soldats, des armes, des projectiles à tous les garçons, des albums de guerre aux filles même. Petite Marie a trouvé dans sa cheminée une caisse de grenades… d’Espagne. La rusée s’est mis un bandage à la tête et se dit victime d’une explosion… Zouzou a menacé de me tuer avec son petit pistolet. Je t’attends, Zouzou ! J’en ai trois, un qui a fait les batailles de la Révolution, les deux autres les campagnes de l’Empire. Gros René – 4 ans – n’a consenti à prendre médecine que si on lui donnait une Alsacienne. Son papa au G[rand] Q[uartier] G[énéral] à Metz peut lui chercher une fiancée pour dans vingt ans (il la veut « en chair »).

 

La cessation de la guerre sous-marine ; la demande d’armistice allemand qui parurent au vulgaire des coups de théâtre imprévus étaient le secret des dieux et furent naturellement préparés, convenus, machinés par de longues négociations secrètes. L’histoire ne sera jamais qu’une tragi-comédie ; le drame se joue en scène, la comédie dans la coulisse ; les belles tirades qu’on déclame devant le public couvrent les cyniques dialogues des coulisses. Ce qu’on n’entend pas, c’est le vrai sujet. « Gloire, liberté ! », claironne la rampe, « intérêts et dividendes », chuchotte (sic) l’envers du décor. Les peuples exécutent le drame, les dirigeants la comédie. Faut-il pleurer, rire, applaudir, siffler ? Nous faisons tout cela et le rideau baissé nous nous trouvons ridiculement impressionnables ; quelques fois, il se produit une péripétie imprévue au scénario : le feu prend au théâtre et tout le monde brûle.

 

C’est vraiment un homme plein de prévoyance et de prudence que ce haut magistrat. Il a fait au début de la guerre et tant que les restrictions ne l’ont pas gêné, de telles réserves de vivres qu’après quatre ans, la fin des hostilités lui en laisse un stock considérable mais défraîchi ; toujours entendu, il en offre alors à ses amis, pour les obliger, contre argent et avec un bon bénéfice, assurant qu’il se les procure au cours de ses déplacements.

Dans ses fonctions, il est d’ailleurs chargé de réprimer l’accaparement des denrées et de sévir contre les accapareurs – ses émules.

Dieu me préserve de la justice humaine !

 

Retrouvé un article d’un journal médical anglais « The Lancet » de décembre 1914 où l’on dénonçait la présence de la peste pneumonique à Cuba, dans quelques régions des États-Unis, à Panama et en Colombie où les rats l’avaient propagée. C’est donc bien la peste pneumonique importée d’Amérique qui nous décime en ce moment. Sans exagération, elle fait périr autant de monde que la guerre.

Mais on s’habitue décidément à tout.