Jeudi 22 mars 1917

 

Nouveau ministère, ministère de saison, printanier, parfumé à la violette ; Maurice, ministre du Ravitaillement ; Painlevé, ministre de la Guerre ; Desplas, Travaux publics ; Fernand David, Agriculture. Painlevé et Desplas, quelles garanties contre la disette ! David terrassera bien le géant Goliath avec une simple fronde. Ce scandale : un général, au ministère de la Guerre, a cessé ; mais d’où vient qu’on tolère un amiral à la marine au lieu d’y mettre un vétérinaire ou un avocat ? Pourquoi cette dérogation aux salutaires principes de la démocratie citoyenne ? Pourquoi cet antimilitarisme mitigé ? Parce que nul marin ne devint dictateur ?

 

« Quatre cents femmes de 15 à 40 ans, de Nesles et des alentours, ont été emmenées de force par les Allemands en retraite pour servir d’ordonnances… » Les journaux.

Y a z’une fill’ dedans Paris

Qui n’est si jeune et si jolie

Dedans Paris y a z’une fille

Qui n’est si jeune et si gentille

 

Quand sa mère l’a eu coiffée

Trois soldats la n’ont emmenée

« Soldats, soldats, laissez ma fille !

Elle est si jeune et si gentille ! »

 

Un des soldats a répondu :

« Votre fill’ vous ne l’aurez plus

C’est pas pour moi que je l’emmène

C’est pour Monsieur mon capitaine. »

 

Le capitain’ la voit venir

Qui de pleurer ne peut s’retenir :

« Ne pleurez pas, fille jolie,

Ne pleurez pas, je vous en prie ! »

 

La bell’ demande un p’tit moment

Pour prier Dieu dévotement.

En priant Dieu de bonne grâce ;

La belle est morte sur place

 

Qu’on m’apporte du papier blanc

Pour écrire à tous ses parents

Et prévenir sa tendre mère

Que sa fille est morte en prière !

 

Cette vieille chanson française, souvenir de guerre qui me semblait d’un passé tellement légendaire et lointain, qu’ils la rendent actuelle les affreux bandits teutons ! Qu’elle est en ce moment poignante et déchirante, la plainte du chant populaire ! Si j’étais une des malheureuses femmes enlevées, je tâcherais de crever les yeux à quelqu’un de ces misérables qui ne sont plus des soldats, mais d’immondes criminels et de me faire fusiller : ce serait mille fois plus doux que la vie avec eux.

L’Illustration, collection archives municipales de Brive, 30C106