Jeudi 5 décembre 1918
« Une personne d’Objat est venue vous prévenir que Mme E. est morte. » Laquelle ? La mère ? la bru ? Je téléphone anxieuse ; bien qu’abonnés, les E. ne répondent point. La receveuse d’Objat finit par me téléphoner : « Ils ne peuvent vous répondre. Dans cette maison, il y a un mort et trois mourants. » C’est la jeune femme, la gentille Anna, que la grippe vient d’enlever. Pauvres parents qui perdirent leur fils à la guerre. Pauvre mari qui y a perdu la santé et comptait sur les soins de la morte ! Au jour, je saute dans un train plein de soldats. À Objat, une exclamation. Le beau-frère d’Anna, le sergent, versé dans un nouveau régiment et passant par hasard m’a aperçue embrassant sa fillette qui est venue m’attendre… en grand deuil.
« Que se passe-t-il ?
– Vous ne savez pas ?
– Rien.
– Anna était très malade.
– Ma tante est morte, sanglotte (sic) l’enfant. On l’enterre à 10 heures. Maman et mes frères sont malades. ».
Le sergent reste étourdi, puis : « Qu’on me punisse si l’on veut, je reste. »
8 h 30. Nous sortons de la gare et voyons un corbillard et une foule devant la porte des E. Nini nous explique : « C’est un prisonnier rapatrié, un Lorrain, recueilli chez nous ; il est mort hier soir, une heure avant ma tante. Un autre, venu avec lui, a été porté à l’hôpital de B. » Deux morts et cinq malades ! Une stupeur nous saisit. Scènes de désolation : le pauvre mari, terrassé par le mal et la douleur, ne peut se tenir. La chambre de Marguerite et de ses enfants est une salle d’hôpital ; on met en bière Anna aussi décomposée que M. G. Elle a expiré, tenant les portraits de son frère et de son mari dans ses mains. L’enterrement du prisonnier et le sien n’ont différé ni pour le cérémonial, ni pour les fleurs et les couronnes, la même foule les a suivis au lointain cimetière. Mme B., professeur à l’école supérieur, mère de quatre enfants, a soigné les malades et fait une collecte pour les funérailles du prisonnier, manquant un jour la classe à ses risques et périls. Je prends sa place auprès de Marguerite et des enfants… Une lettre de Lorraine pour le malade transféré à B. J’irai la lui porter en rentrant. Un peu de joie aide à guérir.