septembre 1917


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Samedi 15 septembre 1917

Les Russes du camp de L. se répandent aux environs en bandes armées. Échauf[f]ourées sanglantes avec les nôtres. Un bluet de 18 ans est tué. On demande sans cesse des renforts. « Au Courn[e]au, les choses se passent plus galamment dit Jean D. qui revient d’Arcachon. Les officiers, très beaux hommes, très courtois dansent et sablent le champagne. Dans un restaurant chic, l’un d’eux, craignant qu’on ne lui montât pas la marque qu’il désirait, suivait le sommelier à la cave… »

Archives municipales de Brive, 21 NUM 5 , Fonds Georges Nadine. Numérisation dans le cadre de la Grande Collecte.

Le camp de La Courtine a été crée en 1901. Pendant la guerre, il sert de camp d’instruction pour les troupes françaises avant de monter au front. Deux  brigades Russes vont participer aux opérations sur le front français et  à de très durs combats dans l’été 1916. Suite à la révolution russe de 1917, le commandement français décide d’isoler ces troupes à La Courtine pour éviter la propagation des idées bolchéviques au sein des troupes françaises. Une mutinerie va éclater dès la fin du mois de juillet. Elle terminera par un assaut qui va durer 5 jours et entrainer la mort de plusieurs mutins.

 

 

 


Dimanche 16 septembre 1917

Départ pour Salonique de 900 joyeux du …e. Dans les rues, tumulte fort avant dans la nuit. Je surveille derrière les persiennes un groupe qui court en tous sens et pénètre enfin dans une maison voisine inoc[c]upée. Coups à un pauvre noir. À la caserne, sac des chambrées, literie, effets jetés par les fenêtres dans la boue. Vacarme et désordres à la gare.

 

Certains Français – la lie seulement d’ailleurs – n’ont rien à envier aux Boches pour la bestialité.

 


Lundi 17 septembre 1917

La nausée soulevée par les hommes politiques de tous les pays – y compris le nôtre – ira-t-elle jusqu’au vomissement ? Souhaitons que la tête et l’estomac ne nous tournent pas à nous, Français, avant la fin de la guerre. Les vertiges et les convulsions révolutionnaires sont trop dangereux au milieu de la bataille.

 

Kerensky : un des organisateurs ou désorganisateur de la Russie ?

 


Mardi 18 septembre 1917

Notre ville vient d’être consignée aux permissionnaires parce que la fièvre typhoïde, le croup et la rougeole sévissent aux casernes ; en même temps, la presse et les services compétents publient que la fièvre typhoïde, depuis la vaccination, a complètement disparu de l’armée…

 


Mercredi 19 septembre 1917

Il a fallu prendre une décision. On a braqué des canons sur le camp de L. Un général russe a fait dire aux révoltés : « Rendez-vous. Sinon, j’ai des 75 et je m’en servirai. » Ils ont refusé d’obéir. Au premier coup de canon, 50 hommes sont tombés et 10 000 se sont rendus. Il ne reste plus dans le camp que 2 000 irréductibles. Tous ces imbéciles ont fait le jeu de l’Allemagne désireuse de nous brouiller.

 

Se souvenir pourtant de l’aide prêtée par eux au début de la guerre.

200 victimes de notre côté.


Jeudi 20 septembre 1917

Des papillons collés aux murs invitaient ces jours-ci les employés de commerce à se syndiquer. Ne voyant que l’intérêt immédiat, ils se sont hâtés de suivre le conseil. Un ultimatum est envoyé aux patrons : 50 F d’augmentation mensuelle avec effet rétrospectif ou la grève. Certes, la demande d’augmentation de salaire est justifiée par la cherté de la vie. Mais qui dirige ce mouvement syndicaliste avec cette brutalité ? N’est-ce pas une armée de guerre civile qu’on veut créer ? La main boche bien autrement redoutable que la Main Noire ne tire-t-elle pas ainsi les ficelles : d’un nouveau piège ?

Chez le gros bonnetier A., des écrits injurieux et menaçants étaient répandus dans tous les coins. Le coupable ne s’étant point dénoncé, le patron a mis tout le personnel à la porte. Les patrons ont résolu de ne rien répondre à la communication envoyée à cause de sa forme impérieuse.

 

Alcooliques. 10 h 30 du soir. Braillements, discussions de voix avinées, une demi-douzaine de soldats sortent du caboulot voisin. L’un d’eux, plus saoul, est porté à califourchon par un autre qui titube. Soudain, double chute sur le pavé et cris affreux : « Ma jambe ! Oh ! Ma jambe ! J’ai la jambe cassée ! Volaille, tu m’as estropié. » L’ivrogne tombé avec son porteur tente vainement de se lever. « Ne me laissez pas là ! Oh ma jambe ! » La voix avinée hurle sans répit. Les autres soulards s’efforcent de traîner l’homme qui a bien réellement la jambe rompue. « Ne me lâchez pas ! Oh ma jambe ! » Au sommet de la rue, leurs cris et leurs jurons s’éteignent.

Lâches, traîtres, les gouvernants qui laissent ouverts les bouges, antichambres d’hôpitaux, de bagnes et de cabanons

 


Samedi 22 septembre 1917

 

La blonde distinguée Alice C., qui semble sous son g[ran]d chapeau noir d’un modèle digne d’un Reynolds, m’est arrivée les mains pleines d’ampoules, trainant un sac de pommes de terre ; un champ fut semé, sarclé, buté, récolté par sa mère et elle.

Visite de ma chère Louise. Son frère, à l’hôpital, de nouveau malade par suite de l’absorption de gaz asphyxiant ; son père, le pouce de la main droite à moitié coupé par une scie mécanique, métayer et domestique à la guerre ; elle fait les travaux des champs et a conduit hier la moissonneuse, travail très dur parce que les blés sont versés ; le triste état des siens, les maux publics, ses angoisses particuliers pour l’avenir et l’énervement d’un labeur accablant, lui donnent une envie constante de pleurer. J’ai caressé affectueusement ses mains naguère si blanches, maintenant brunies et durcies. « Ce sont de bonnes guerrières, vos mains, elles luttent énergiquement ; elles n’avaient qu’une beauté physique, elles ont une beauté morale. Pleurez si cela vous détend, mais sans amertume ! Vous faites si pleinement votre devoir ! À votre tâche, vous joignez celle des hommes empêchés de votre famille. Pour cela, je vous aime mieux. »

 

Les défenseurs des Allemands achètent un[e] propriété de 50 000 F, vaste demeure et jardin. Serait-ce avec des billets suisses ? Ils m’engagent à passer une journée dans leur nouveau domaine. Je me promets de n’y pas mettre les pieds. Est-ce même bien pour leur compte qu’ils l’ont acheté ? L’ennemi n’a pas renoncé à s’implanter pacifiquement chez nous, même en temps de guerre.

À L’hôpital : récits d’un otage civil rapatrié, un pauvre vieux de 70 ans. Les Barbares ont tout pris chez lui, jusqu’aux anneaux de mariage des femmes.

 

Témoignage d’un grand blessé rapatrié.

Les gradés boches se réunissaient trois ou quatre pour manger devant les prisonniers le contenu des colis venus de France. Ils permettent seulement au destinataire de goûter les provisions. « Tu vois ce qu’il y a, note-le pour en accuser réception dans ta prochaine lettre. À ta santé ! »

À L’hôpital : récits d’un otage civil rapatrié, un pauvre vieux de 70 ans. Les Barbares ont tout pris chez lui, jusqu’aux anneaux de mariage des femmes.

 

Témoignage d’un grand blessé rapatrié.

Les gradés boches se réunissaient trois ou quatre pour manger devant les prisonniers le contenu des colis venus de France. Ils permettent seulement au destinataire de goûter les provisions. « Tu vois ce qu’il y a, note-le pour en accuser réception dans ta prochaine lettre. À ta santé ! »

 


Dimanche 23 septembre 1917

 

Les menées boches dans notre cité sont devenues assez visibles pour qu’on nous ait envoyé une nouvelle escouade d’agents de la sureté. Justement, j’ai vu l’ex-précepteur des enfants du roi de Bavière causer longuement avec un employé de la maison B. les syndicats et les grèves semblent intéresser ce monsieur.

 


Mercredi 26 septembre 1917

Même pour la prière, le temps me manque ; pourtant, je m’endors chaque soir en recommandant à Dieu notre France ; nos saints nationaux, Geneviève, Louis IX, Jeanne d’Arc, invoqués, j’implore la protection des saints alliés en commençant par les Belges et sans oublier les Polonais ; de nouveaux aides nous venant, ma litanie s’allonge toujours ; à la fin, j’invoque les martyrs de la guerre ; aujourd’hui, par une nuit d’un[e] douceur, d’une beauté paradisiaque, les yeux levés vers les astres innombrables, j’ajoute à mon habituelle oraison une prière pour Guynemer et nos autres archanges aux ailes brisées…

 


Jeudi 27 septembre 1917

Grève. Magasins fermés ; quelques menaces contre les veilleurs de nuit qui sortent. Le temps est magnifique. Les grévistes finissent par jouir de la promenade. Ils chantent et se font voiturer. La gaîté française empêche bien des choses de tourner au drame.

Les patrons se solidarisent beaucoup moins bien que les employés. Les uns ont renvoyé tout le monde, d’autres ont cédé ; un bon nombre voit venir. Mes amis M. sont enchantés que la grève de leur personnel leur donne des vacances !

 

Pour des gens qui marchent à reculons, les Russes vont très vite : en quelques mois, ils ont eu la Constituante, la Terreur, Brumaire, les voilà au Directoire. Peut-être même ont-ils tout à la fois ? S’ils continuent du même train, avant six mois, ils auront la Restauration.

 


Dimanche 30 septembre 1917

Le pain manque. La seule boulangerie qui possédât un peu de farine a eu bientôt débité sa fournée qu’elle voulait d’abord réserver à sa clientèle, mais que la police l’a forcée de distribuer par livre à tout venant. J’attendais mon tour ; mais voyant une mère de famille sans pain, je lui ai abandonné ma part. On mangera des pommes de terre. La fournée distribuée, la boulangerie fermée, il s’est formé des attroupements irrités et menaçants. Un homme en fureur parle de « saigner quelqu’un », excellente façon de s’assurer aux frais de l’État du pain gratuit. D’autres veulent fouiller les boulangeries. Au milieu de l’effervescence, passe un patronnet, sa corbeille de gâteaux sur la tête. Un tout jeune homme lance un caillou dans la pâtisserie faite d’ailleurs de blancs d’œuf, de sucre et d’amandes : « Dis donc, espèce de paysan ! », crie le patronnet, qui juge certainement ce titre de noblesse « paysan » un terme fort injurieux. Les cailloux s’abattent de plus belle : corbeille et gâteaux s’étalent sur la chaussée ; des enfants et des chiens se disputent les débris des meringues. L’incident vient à point distraire les excités. L’inutilité des réclamations et l’espoir qu’on aura du pain le lendemain dispersent enfin les pauvres gens.

Ce n’est pas le grain qui manque puisque la récolte est faite ; la main-d’œuvre, les transports plutôt et surtout l’organisation.