Dimanche 23 avril 1916

Effroyable suffisance d[u] peuple qui, parce qu’il ânonne et parvient à écrire une lettre informe, dit : « À présent, to[ut] le monde est « instruit ». À pré[sent] on n’est plus « couion », on ne veut plus se faire tuer pour les riches. »
Pauvres êtres ignorants qui se croient « instruits », « savants », et qui n’ont pas même l’idée de ce qu’est vraiment l’instruction, et ignares se croient malins, et aveugles veulent tout conduire.
Dans le train, de Tulle à Brive, querelle entre un gros monsieur et deux soldats. Ces derniers l’ont traité d’ ; le civil s’écrie : « J’ai envoyé trois fils à la guerre et l’un d’eux a été tué. » Alors les soldats fulminent contre la guerre : « On pouvait l’éviter, dit l’un d’eux, avec de l’argent. »
(Toujours ces malheureux qui susciteraient mon indignation s’ils ne me faisaient pitié.) Le gros monsieur leur fait remarquer que l’Allemagne avait prép[aré] la guerre et que rien ne pouvait l’empêcher de la faire.
« Qu’est-ce que cela me fait d’être Allemand ou Français, dit le second soldat, pourvu que ça finisse.
– Misérable ! dit le gros monsieur. Vous n’êtes pas digne de porter l’uniforme français. Répétez ce que vous venez de dire et à la prochaine station, je vous fais arrêter.
– Pourquoi me battrai-je ? Je n’ai rien.
– Votre pays est votre grande famille, et si votre pays est libre et prospère, vous en profitez. »
Les soldats ricanent ; le civil renonce à éclairer ces intelligences fermées.
Je lui dit doucement : « Monsieur, il faut plaindre ces pauvres garçons. D’abord, ils se conduisent mieux qu’ils ne parlent. Puis, vous voyez, ils ne savent pas, ils n’ont pas appris, ils ne se doutent pas. Il faut être très patient, très charitable avec ces enfants rebelles. Nous avons poussé en pleine clarté, eux dans les ténèbres. Nous sommes des privilégiés, et pour ces déshérités, il n’y a comme pour des aveugles d’autre lumière que l’amour. Guidons avec une patiente douceur leur cécité. »

Lettre de l’ouvrier Levé dont les autres disent : « Il est instruit ! il a son certificat ; avec deux mois de plus, il serait été reçu instituteur ! »

Lecture du journal à l’hôpital : « Où c’est  ? »

Monomanie de l’égalité, fétichisme de la Révolution, fanatisme.

 

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Chèr oncle et tante
Je prend un petit moment pour vous faires Savoir de mes nouvelles qui sons toujour très bonnes pour le momens. Et cet ainçi que je souhaite et que je desire que ma presente carte-lettres vous trouveras tous bien de même.
Chèr oncle et tante je puis vous dires que depuis un mois je suis en 1ère lignes. Enfin ca ne barde pas trop pourvus que sa dure ces se qu’il faut.
Mais je crois que un de ces jour ons vas etre relever et on vas aller aux repos. Pour au moins un mois. Je puis vous dires que le trop manger nous ampêches pas de courir. Nous avons pas trop mauvais temp. Les nuits sont un peu froide. Nous avons pas de tranchée nous sommes a la çimes de montagnes. Vous souhaiterais bien le bonjour à chez Leonard pour moi. Bonjour à toute la famille. Vous embrasserais mon parraint pour mois. Votre neuve qui pensent toujour a vous tous et vous embrassent de tous son cœur.

 

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Mon cher Jeanmajor
Je vou pri de bein vou loir re gardet si jenet pa une létre de ma femme qui ma et tes en voidier penden les premiet jour que j’es tes en permision de vin jour la drèsede ma femme et dé rière
Mon cher Jeanmajor je vou pridivouloir bein vou au cupédema létre qui contien un pe darjen Roubinét Firmin au 126 dinfenteri c au ran Roubinet au petigai c de savignac lédrier Dordogne

 

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Lettre de soldat (1914)
Cher Camarade,
Depuis longtemp, j’aurai voulu disposer d’un moment pour vous passer un mot de lettre, més etant toujour en plaine campagne dans des tranchée on ne trouve jamais le moment ou toujours on manque de quelque chose. Enfin aujourd’hui je me trouve le moyen de realiser mes désirs afin de vous faire savoir que je suis en bonne santée et désire que vous soyez de même, vous et toute la famille. Je serai bref car n’ayant pas beaucoup de temp je me bornerai à vous raconter mon voyage lorsqu’on se reverra ce qui ne se fera pas attendre tré longtemp je l’espère.
Bonjour aux ami que je connait et aux voisins.
Chez Bernical
Je termine, en vous serrant une cordiale pogné de main et je suis votre camarade
Francois Levet, soldat
95e territorial à Toul
12e compagnie

L’auteur veut être bref mais parle beaucoup pour ne rien dire.

 

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Du même à sa femme

 12-1914
Chere Marissou,
Je vien a la hatte te faire part que j’ai reçu la lettre recommandee que j’ai reçu hier y compris le billet de 20 franc. En plus un mandat de 20 franc daté du 23 aout. Je l’avais reçu il y a 10 jours.
Nous sommes à 10 kilomètre de la frontiere à 500 mètres de l’armée Allemande ils sont dans des forêts et je te garantie qu’on leur joue une musique avec le canon qui doit les faire dansé mais nous ne les voyons pas. Nous avons pris aujourd’hui notre premiere Journée de repos sans cela nous sommes constament dans les tranchees ou dans les forêts mes nous n’avons encore pas bruller une cartouche on est passé pret bien des fois c’est surtout une guerre d’Artillerie ce qui que nous ne les voyons pas souvent ce que nous avons vue nous avons entendu siflé les obus Allemand par dessus nos têtes et aller eclater à 500 m ou un kilometre au delà nos troupes les ont repoussé et depuis l’on entend le canon de plus loin enfin j’en dit pas plus long je reserve se plaisir à mon retour. Soyez rassuré que maintenant nous or de danger et je compte a la toussain etre parmi vous entrain d’epluché un poulet dont nous sommes Ajun depuis longtemp. Chère Marie J’ai bien regret de songer que je vien constament te faire appel pour avoir de l’argeant mes cette foi j’espere bien ne plus en avoir besoin. Afin de vous embrasser de tout mon cœur recoit les meilleurs amitiés d’un mari qui t’aime. Embrasse bien toute la famille pour moi dit leur que compte les revois sous peu
Levet

 

 

Embusqué

Militaire affecté, par faveur, à un poste éloigné de tout danger.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.

Vilna

Nom russe de Vilnius (située aujourd’hui en Lituanie).

Blénod-lès-Pont-à-Mousson

Commune située en Meurthe-et-Moselle (Lorraine).