Dimanche 30 septembre 1917
Le pain manque. La seule boulangerie qui possédât un peu de farine a eu bientôt débité sa fournée qu’elle voulait d’abord réserver à sa clientèle, mais que la police l’a forcée de distribuer par livre à tout venant. J’attendais mon tour ; mais voyant une mère de famille sans pain, je lui ai abandonné ma part. On mangera des pommes de terre. La fournée distribuée, la boulangerie fermée, il s’est formé des attroupements irrités et menaçants. Un homme en fureur parle de « saigner quelqu’un », excellente façon de s’assurer aux frais de l’État du pain gratuit. D’autres veulent fouiller les boulangeries. Au milieu de l’effervescence, passe un patronnet, sa corbeille de gâteaux sur la tête. Un tout jeune homme lance un caillou dans la pâtisserie faite d’ailleurs de blancs d’œuf, de sucre et d’amandes : « Dis donc, espèce de paysan ! », crie le patronnet, qui juge certainement ce titre de noblesse « paysan » un terme fort injurieux. Les cailloux s’abattent de plus belle : corbeille et gâteaux s’étalent sur la chaussée ; des enfants et des chiens se disputent les débris des meringues. L’incident vient à point distraire les excités. L’inutilité des réclamations et l’espoir qu’on aura du pain le lendemain dispersent enfin les pauvres gens.
Ce n’est pas le grain qui manque puisque la récolte est faite ; la main-d’œuvre, les transports plutôt et surtout l’organisation.