Samedi 17 août 1918

Serbes convalescents.

 

La population indigène est noyée dans l’élément étranger ; cela tourne à la Babel. Un Somali bronzé, au nez busqué, coudoie dans nos rues moyenâgeuses ou modernes une Flamande du blond le plus pâle ; un groupe d’ouvriers espagnols y succède à une troupe de prisonniers allemands ou d’infirmiers an[n]amites ; des scènes divertissantes se déroulent comme en un cinéma. Voici qu’un réfugié alsacien, excité par de copieuses libations, se prend de querelle avec son propriétaire. Injures, menaces ; les poings sont brandis ; un autre Alsacien prend fait et cause pour son compatriote. Des voisins soutiennent le propriétaire. Un prisonnier boche qui travaillait près de là s’en mêle. Arrive un Américain qui, voyant l’attroupement et la dispute, fait tournoyer son gourdin et admoneste véhémentement les adversaires… en anglais. Personne ne sait de quoi il s’agit. « Boches ! Boches ! », fait le Yank en désignant avec aversion le prisonnier et les Alsaciens qu’il ne différencie point. Deux Sénégalais sont survenus. « Boches ? Couper cou ! » Ils sortent sans hésiter leurs coutelas ; calmés, les disputeurs s’esquivent comme des souris devant un matou.