Jeudi 8 août 1918
M. A. de Sainte-F. a une équipe de douze Allemands pour travailler ses terres. Le lot comprend un chanteur d’opéra, un professeur de langues mortes qui excite les autres à l’insubordination et à l’exigence, un ouvrier métallurgiste employé en France avant-guerre, enfin des cultivateurs. L’un de [ceux]-ci travaille avec le plus grand zèle et a fait savoir par l’interprète pourquoi il agit ainsi : il a chez lui un cultivateur français qui fait sa propre tâche à la complète satisfaction à sa femme. Alors son devoir lui commande de bien travailler chez le Français qui l’occupe. Oui, même ennemis, nous sommes encore solidaires, collaborateurs parfois. Ces deux prisonniers qui fécondent consciencieusement une parcelle de leurs patries en lutte, combattent un ennemi commun : la famine ; et sont dans la plus intelligente condition de la vie humaine qui consiste non à se dépouiller, à s’asservir mais à s’assister.