Mercredi 16 août 1916

 

Ma laitière, à qui je demandais des nouvelles de son fils soldat, m’a dit ce mot bien paysan : « Il est bien esposé, de ce moment ; et, voyez-vous, s’il devait être tué, j’aimerais mieux qu’il le soit été en commençant ; car il m’a coûté de l’argent que je ne rattraperais jamais ! »
Lettre de Nouaillac à propos du prisonnier Baptiste Jaubert et, comme suite, visite à la mère Jaubert que, toute essoufflée d’une rapide escalade, je cherche vainement dans sa mansarde au quatrième, puis que je découvre en bas gardant « sa poule » dans une courette. La grosse bonne femme m’exhibe la dernière lettre de son fils, une lettre tendre – il envoie à sa mère « les plus grosses caresses », une lettre plaintive – il n’a reçu ni nouvelles ni colis, depuis trois mois. Un camarade « artiste » a orné la lettre d’un bouquet de roses à l’aquarelle. J’annonce à la bonne femme que je vais m’occuper de son fils en qualité de marraine ou mieux de « tante » puisque les marraines n’ont plus le droit d’écrire. Cette parenté soudaine avec une dame, une personne raffinée, ébahit, puis amuse la sabotière. Nous convenons de nous communiquer les nouvelles du captif et je m’en vais dotée d’un « neveu » sabotier, autant dire anarchiste, car la corporation a toujours témoigné ici d’idées passablement subversives.

Tous, comme le Christ, nous avons à mériter le rachat, le salut par l’incarnation et la mort. Notre tâche n’est qu’une infime réduction de la sienne. Quelle clarté jaillit des mystères chrétiens lorsqu’on scrute longtemps leur demi-jour !