Jeudi 5 novembre 1914

10 heures du soir.
J’allais fermer les persiennes. En face de moi, en plein ciel, j’aperçus une étrange apparition, un immense nuage qui figurait si exactement l’aigle noir de Prusse, qu’on distinguait les pennons des ailes éployées. Deux trous, par où brillait la clarté lunaire, formaient les yeux de ce fantastique oiseau de proie qui semblait tenir tout le ciel. Je restai oppressée par cette vision jusqu’au moment où l’aigle commença à se déchiqueter, à se déplumer lentement.

 

 


Vendredi 6 novembre 1914

La Turquie a créé un  entre elle, la Russie et nous. Le champ de bataille s’élargit et de l’Europe, il gagne l’Orient. Connaîtra-t-il d’autres limites que celles du globe ? L’exclamation d’un inconnu lors de la déclaration de guerre me revient à l’esprit : « Quel cataclysme ! »

 

L’entrée en guerre de l’Empire ottoman

En savoir plus

Casus belli

Locution latine signifiant littéralement « cas de guerre ». Elle désigne un acte de nature à justifier une entrée en conflit.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.


Samedi 7 novembre 1914

 

Le lieutenant Revel annonce la mort de , le chauffeur du Dr . Son capitaine a dit au lieutenant : « J’ai perdu le meilleur soldat de ma compagnie. Son boute-en-train, son entraîneur. Comme d’ordinaire, il s’était dès le signal lancé le premier à l’assaut, quand il a été frappé ! C’est à des soldats comme celui-là que nous devrons la victoire. » Voilà pour un simple soldat une admirable oraison funèbre. Brave petit Paul, si gai, si disposé à rire et à faire rire les autres ! Tous ceux qui le connaissaient déplorent sa mort.
Je me souviens qu’un jour, l’aspirant de marine allemand, Adolphe Kessler, venu chez ses maîtres pour se perfectionner dans l’étude du français, lui avait dit ironiquement :
« Ah ! Vous la voulez, Paul, la revanche !
– Monsieur, avait répliqué le jeune homme, nous ne la cherchons pas, mais si nous la trouvons, nous la prendrons ! »
Lui et ses pareils vont nous la donner en effet. Et moi qui ai gratifié, un soir, Kessler d’une poignée de main parce que je le plaignais de l’abandon dans lequel on le laissait dans un coin du salon chez le docteur. Je regrette ma poignée de main. Je songe aussi combien avec tous, ces compatriotes, cet Allemand se trompait sur notre compte : après la revue du 14 Juillet, il écrivait à ses parents : « Tant que nous n’aurons affaire qu’à des soldats comme ceux-là, nous n’avons rien à craindre. »
Il ne savait pas discerner, dans les Français blagueurs et les pioupious quelconques, les modestes héros et ne devinait pas un intrépide adversaire dans le bon enfant joyeux qu’il taquinait.

Le lieutenant Revel annonce la mort de Paul Chadeau…

Soldat au 126e régiment d’infanterie, Paul Chadeau a été tué au combat le 29 octobre 1914 à la ferme des Marquises près de Wez (aujourd’hui Val-de-Vesle dans la Marne). Que s’est-il passé ce jour-là ?

Extrait du journal des marches et opérations du 126e régiment d’infanterie, 29 octobre 1914. © Ministère de la Défense – Mémoire des hommes, 26 N 685/7.

Extrait du journal des marches et opérations du 126e régiment d’infanterie, 29 octobre 1914.
© Ministère de la Défense – Mémoire des hommes, 26 N 685/7.

Paul Chadeau (1893-1914)

Né à Corgnac-sur-l’Isle (Dordogne), soldat au 126e régiment d’infanterie, Paul Chadeau est décédé le 29 octobre 1914 au combat à la ferme des Marquises près de Wez (Marne).

Voir sa fiche sur la base des « Morts pour la France »

Maurice Léon Léonard Prioleau (1858-ap. 1920)

Né à Objat, il est docteur en médecine. Le 15 août 1914, il est affecté au service de la Croix-Rouge comme chirurgien en chef de l’hôpital auxiliaire n° 2 de Brive. Il est le père de Marguerite Priolo (épouse Gaillot), ancienne élève de Marguerite Genès et reine du Félibrige en 1913. En 1920, alors qu’il est président de l’orphelinat des chemins de fer français (section de Brive), il est nommé chevalier de la Légion d’honneur.


Lundi 9 novembre 1914

Belges et Français ne font plus qu’un. Dans des locaux déjà pleins de mobilisés, on a trouvé le moyen de caser les mobilisés belges. Et toujours il arrive de nouveaux réfugiés qu’on disperse dans les environs. Parmi ces soldats et ces réfugiés, tous ne sont pas contents et se plaignent du couchage et de la nourriture. Évidemment, on devrait faire plus pour eux. Mais ce sont les fonctionnaires, les autorités qui s’occupent d’eux ; ils n’ont avec ces pauvres gens que des rapports administratifs, c’est-à-dire presque machinaux, se montrent tatillons. Que de fois j’ai trouvé les représentants de l’État [illisible], tyranneaux, arrogants. Généralement, quand un homme devient fonctionnaire, il devient un peu Prussien.
On se repasse le mépris.

La population, qui depuis la guerre de Cent Ans n’a plus souffert, manque aussi d’élan, de générosité, n’ouvre pas facilement sa bourse, son cœur et sa porte.

Nos amis liégeois, les Thonet, qui commençaient de reprendre pied, sont hors d’affaire : le mari entre à la  où il gagnera 11 F par jour. J’en suis toute réjouie ! La pâleur et la maigreur de la souffrance avaient peine à disparaitre du visage de leurs enfants.

 

La Croix de la Corrèze, 1er novembre 1914. Archives municipales de Brive, 8 S 990.

La Croix de la Corrèze, 1er novembre 1914.
Archives municipales de Brive, 8 S 990.

 

La Croix de la Corrèze, 15 novembre 1914. Archives municipales de Brive, 8 S 992.

La Croix de la Corrèze, 15 novembre 1914.
Archives municipales de Brive, 8 S 992.

 

Carte postale. Collection Mme Lagarde.

Carte postale. Collection Mme Lagarde.

 

Manufacture d’armes de Tulle

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 1334.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 1334.

Créée à la fin du XVIIe siècle, elle fait partie des plus anciennes manufactures d’armes de France. Durant la première guerre mondiale, elle fabrique des fusils modèle 1886 dits « fusils Lebel » et répare les affûts du canon de 75. Pour répondre à l’effort de guerre, les effectifs sont augmentés – ils passent d’un peu plus de 800 employés au moment de la mobilisation à 4 683 en 1917 –, un nouveau dispositif horaire est mis en place afin que la production soit constante et plus de 40 000 m2 d’ateliers supplémentaires sont construits.


Mardi 10 novembre 1914

J’avise, devant une papeterie ambulante, un ramoneur que je prie de venir le lendemain chez moi. « Ce sera aujourd’hui si vous voulez, ou jamais, dit le pseudo-nègre. Je rejoins mon corps demain. » J’engage l’homme à me suivre. Le travail achevé, je lui donne une collation : tranche de pâté, raisins arrosés de vin blanc. On cause. Le ramoneur me conte tristement qu’il est d’Eylac, près de , qu’il a 26 ans, quatre enfants jumeaux deux à deux et une femme enceinte. « Vous allez bien mon garçon ? » Son frère blessé a cinq mioches. D’ailleurs, chez lui, on était douze, et jumeaux deux à deux !
« Comment vous appelez-vous ?
– Bessou. »
Je me mets à rire. Bessou, en limousin, veut dire jumeau. La femme de Bessou est malade, une sale maladie. Épilepsie, phtisie ? Je n’ose faire préciser. Le pauvre diable ne tient pas à la vie pour lui ; mais ses petits !
« C’est dommage, lui dis-je, que je ne puisse pas prendre votre place ; une balle allemande bien ajustée me rendrait service.
– Oh ! non, non, pas vous », dit mon interlocuteur qui, me voyant secourable, s’imagine que ce serait dommage.
Enfin, je promets au pauvre ramoneur de lui envoyer un tricot que je confectionne ; lui, promet de me remercier par une carte ; et vu qu’il va se battre et qu’il est malheureux, je serre sa main noire de suie !

 

 

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 1817.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 1817.

Servières-le-Château

Commune de Corrèze. Le château sert de prison pendant la première guerre mondiale mais est incendié par des officiers allemands en 1916. Après restauration, il sera utilisé comme préventorium.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 1606.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 1606.


Mercredi 11 novembre 1914

7 heures du soir. Devant la maison du maréchal  où sont cantonnés des Belges et des Français, un soldat qui passe crie aux autres : « Ce n’était pas la peine qu’on télégraphie avant hier qu’il y avait assez d’hommes. Ordre de départ… Bons pour les tranchées !… Ah ! Misère ! » Et il s’en va en grommelant. « Ça fait toujours deux jours de plus », dit un philosophe.

Réalisation des élèves de CM2, année 2013-2014, dans le cadre des « Petits artistes de la mémoire ». À partir de la correspondance d’un poilu briviste, Alfred Delavallade. http://www.brivemag.fr/2014/07/01/la-grande-guerre-vue-par-les-ecoliers-de-saint-germain/#more-113787

Réalisation des élèves de CM2, année 2013-2014, dans le cadre des « Petits artistes de la mémoire »,
à partir de la correspondance d’un poilu briviste, Alfred Delavallade.
http://www.brivemag.fr/2014/07/01/la-grande-guerre-vue-par-les-ecoliers-de-saint-germain/#more-113787

Guillaume Brune (1763-1815)

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 451.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 451.

Né à Brive (11, rue Majour), c’est à la tête des armées révolutionnaires qu’il acquiert son grade de général en 1793. Napoléon en fera un maréchal d’Empire. Bien plus tard, sa ville natale donnera son nom à la caserne du centre-ville.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.


Jeudi 12 novembre 1914

 

Par le froid, sous la pluie ou dans le brouillard, les nôtres soutiennent là-bas, en Flandre, une lutte effroyable contre seize corps d’armées allemands.
Mon Dieu ! mon Dieu ! mon Dieu ! Si mon devoir ne me commandait pas les travaux absorbants et mesquins, je voudrais, avec l’espoir d’adoucir par mon sacrifice les souffrances de nos soldats, m’agenouiller pour ne me relever, comme un fakir, qu’à la fin de la bataille.

La première bataille des Flandres

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 888.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 888.

En savoir plus


Mardi 17 novembre 1914

 

Un homme, « très pondéré, très instruit, renseigné », a dit à Virginie, qui le répète avec conviction, que la guerre a éclaté par notre faute : « Les religieux chassés de France ont porté à l’étranger tant d’argent que celui-ci, enrichi, a trouvé tous les fonds nécessaires à la guerre. »
Je fais vainement remarquer à la commère qu’au contraire, les religieux ont été dépouillés et qu’ils sont allés plutôt en Belgique, en Espagne et en Angleterre qu’en Allemagne. C’est le monsieur qui dit vrai !

« Nous sommes vendus par les nobles qui voudraient faire revenir l’ancien temps. »
Erreur sur la guillotine.

 


Jeudi 19 novembre 1914

 

Soutenir que les Allemands n’aiment pas les œuvres d’art, ce serait vraiment de la mauvaise foi. Ils les goûtent si fort que tous, depuis le  jusqu’au dernier reître, ils raflent toutes celles qu’ils trouvent dans nos demeures, et que le directeur du musée de Berlin a fait en France, avant la guerre, une fournée indicatrice des trésors à dérober. Rendons-leur cette justice : ils n’ont détruit la cathédrale de Reims que parce qu’ils n’ont pas pu l’emporter.

 

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 832.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 832.

Guillaume de Hohenzollern (1882-1951)

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 836.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 836.

Né à Postdam, il est le fils de Guillaume II et le prince héritier (Kronprinz).


Vendredi 20 novembre 1914

 

Les Allemands sont au-dessous des barbares : ceux-ci n’avaient aucune instruction, aucune morale et ne connaissaient pas la valeur des vies et des chefs-d’œuvre qu’ils anéantissaient ; eux savent et ne se conduisent pas moins comme les Huns de l’an 450. Les traités sont pour eux des chiffons de papier, les serments des attrape-nigauds ; ils trompent, ils trahissent continuellement, grossièrement, bassement ; c’est l’abolition de toutes les lois, c’est la destruction de toute civilisation, l’impossibilité de vivre en société. Ces gens-là vont faire rétrograder le monde de quinze siècles ! Ne les appelons plus les Allemands ou même les Boches mais, comme au temps de Clovis, les . Pauvres Français, nous allions de l’avant sur la route de la civilisation, de la fraternité universelle et nous pensions qu’on nous suivait ! Quel réveil !

 

L’ennemi

Carte postale. Collection Jean-Louis Ladeuil.

Carte postale. Collection Jean-Louis Ladeuil.

Pour la première fois, Marguerite Genès emploie le terme de « Boches » dans ses carnets. Jusqu’à maintenant, elle préférait parler des « Uhlans » (3 août 1914), des « Deutschs » ou des « Teutons » (17 août 1914).
« Uhlans » renvoie aux cavaliers armés d’une lance des anciennes armées germaniques.
« Teutons » fait référence à ce peuple germanique qui tenta de conquérir la Gaule au IIe siècle avant J.-C.
« Boches » est le terme péjoratif utilisé par les Français pour désigner les Allemands. Il viendrait de « Alboche » – utilisé par Marguerite Genès le 18 octobre 1914 – qui signifie, en allemand, « tête de bois ». Au fil du temps, le terme a été raccourci en « Boche ».

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.

Alamans

Les Alamans (ou Alémans) étaient une confédération guerrière de tribus germaniques.


Dimanche 22 novembre 1914

 

Les Allemands ont du génie, le génie du mal : pièges, espionnage, trahisons, parjures, embûches, engins et goût de destruction, raffinements de haine et de tortures, voilà en quoi ils excellent.
Sous leur souffle infernal, la guerre s’étend. La voilà en Turquie, en Asie mineure, en Égypte, au Cap… , c’est le coryphée de la plus effroyable danse des morts que l’on ait jamais vue ! Une danse des morts où figurent des millions d’hommes de toutes les races : Saxons, Francs, Belges, Slaves, Germains, Arabes, Égyptiens, Turcs, Hongrois, Indous, Africains, Japonais, blancs, jaunes, noirs…

 

Peintre et graveur italien, Alberto Martini (1876-1954) réalise pendant la guerre une série de cartes postales lithographiées : « La danse macabre européenne ».

Peintre et graveur italien, Alberto Martini (1876-1954) réalise pendant la guerre une série de cartes postales lithographiées : « La danse macabre européenne ».

Guillaume II de Hohenzollern (1859-1941)

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 841.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 841.

Né à Berlin, Guillaume II est le dernier empereur (Kaiser) allemand et le dernier roi de Prusse.

Texte rédigé par les élèves de seconde du lycée Cabanis lors d’ateliers aux archives municipales de Brive en 2014.


Mardi 24 novembre 1914

 

M.  annonce une grande victoire russe. Je me sens allégée, heureuse, et pleine de gratitude pour celui qui règle les destinées des empires. Il semble que je me dégage de décombres qui m’écrasaient et m’étouffaient.

 

Maurice Paléologue (1859-1944)

Né à Paris, ce diplomate, historien et essayiste est ambassadeur à Saint-Pétersbourg (Russie) de 1914 à 1917.

En savoir plus

Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Estampes et Photographies, N-2 (Paléologue, Maurice).

Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Estampes et Photographies, N-2 (Paléologue, Maurice).


Jeudi 26 novembre 1914

 

On annonce la mort du général , une des brutes qui ont ordonné d’achever tous les blessés. Je serais bien aise d’apprendre qu’il est resté deux ou trois jours à réfléchir sur le champ de bataille et qu’il a été achevé lui-même par une baïonnette vengeresse.

 

Karl Stenger (1859-1928)

Général allemand, il est accusé en tant que commandant de la 58e brigade d’infanterie d’avoir donné l’ordre en août 1914 de tuer tous les prisonniers et blessés. Jugé entre le 29 juin et le 7 juillet 1921 au procès de Leipzig, il est acquitté.

Le général Stenger, procès de Leipzig, 2 juillet 1921 (Agence Rol). Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Estampes et Photographies, EI-13 (802).

Le général Stenger, procès de Leipzig, 2 juillet 1921 (Agence Rol).
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Estampes et Photographies, EI-13 (802).


Vendredi 27 novembre 1914

 

Le major , qu’on a envoyé à , fait et fait faire des démarches instantes pour qu’on le dirige au front. On lui a dit : « Pour aboutir, il faudrait l’appui de quelque homme politique, de préférence un franc-maçon… »
Serions-nous incurables ?

 

Famille Lalande

Famille implantée à Brive depuis le XVIIe siècle.

Bergerac

Commune de Dordogne.


Samedi 28 novembre 1914

 

La cuisinière de Mathilde P. joint à la fidélité atavique des anciennes servantes le virus démocratique le plus malsain. Ayant un neveu simple soldat blessé, et d’ailleurs admirablement soigné à Nice, qui ne reçoit qu’un sou par jour, elle trouve mauvais que son maître, lieutenant grièvement blessé, touche sa solde d’officier pendant sa convalescence. La France républicaine ne sera jamais satisfaite tant que tous les citoyens ne seront pas présidents de la République avec des émoluments égaux…

 


Dimanche 29 novembre 1914

 

Causerie avec le lieutenant P. qui ne fait que rire de lâchetés qui m’affligent. Les « débrouillards », me dit-il, et entre autres tous les Parisiens, ont évité les premiers jours de la mobilisation de partir pour le front, en arrivant trop tard pour qu’on les habille. Nos paysans n’ont pas eu l’idée de tirer au flanc…
« Débrouillards, dites-vous, moi j’appelle ces gens-là d’un autre nom. Mais certains campagnards ont trouvé moyen de rentrer chez eux. Ils ont acheté des vêtements civils et ont regagné leurs foyers contant que, faits prisonniers, ils s’étaient échappés… »
Heureusement, pour m’ôter cette amertume du cœur, j’ai rencontré un brave garçon qui, blessé, marié depuis un an et près d’être père, veut « revenir là-bas pour achever la besogne ». Vrai Français, celui-ci rit et plaisante de tout : « La dernière fois que je me suis battu, je n’avais pas mangé depuis trois jours, dit-il ; j’étais si léger que je me suis trouvé en quelques minutes dans les lignes allemandes ! » « Pourquoi que vous pleurez, dit-il aux siens ; je vous ai bien promis de revenir ! »

Joseph C., guéri de sa blessure au pied, est venu me remercier et me dire adieu avant de repartir pour son dépôt. Épargné par l’ennemi, ou plutôt protégé par Dieu, tandis qu’il se traînait non comme un bipède mais comme un insecte à demi écrasé sur le champ de bataille, il excuse les Allemands ; si bien qu’énervée, je lui dis :
« Pensez à les attaquer plutôt qu’à les défendre !
– Mais, dit le jeune homme, notre chef nous a ordonné un jour d’achever des blessés.
– À quelle occasion ?
– Nous venions de trouver un cycliste pendu, sa bicyclette attachée a ses pieds.
– C’est la colère qui a arraché cet ordre criminel à votre chef ; de sang froid, il ne l’eut jamais donné.
– C’est vrai.
– Naïf soldat, je souhaite que vous n’ayez pas trop souvent besoin de la générosité des Deutsch. Comme les fous qui reviennent toujours à leur idée fixe, ceux-ci, sachez-le bien, n’ont qu’un regret : c’est de n’avoir pas été plus fourbes et plus brutaux encore, convaincus que cela seul leur a manqué pour obtenir la victoire ! »

Mes voisins B. et moi, nous nous sommes mis en quatre pour une famille liégeoise, père, mère et deux enfants qui faisaient sonner bien haut les titres qu’ils disaient avoir à notre reconnaissance. Literie, vêtements, travail, bons dîners, on leur a tout procuré. On leur donnait dans les magasins ce qu’ils faisaient mine d’acheter. Certain jour, un soldat a payé de sa bourse les souliers que marchandait la Liégeoise. Mais ces soi-disants défenseurs et victimes se montraient exigeants, gourmands et ingrats. Aujourd’hui, le chef de famille, employé à la , gagne 11 F par jour et n’a plus bonne grâce à quémander. Mais quand il y a tant de Belges intéressants, et peut-être mal secourus, c’est de la malchance d’être tombé sur des « exploiteurs » ; et nous avons découvert qu’ils avaient été chassés comme suspects de  où ils tenaient un skating et gagnaient 25 F par jour. Dépensant tout, ils sont arrivés en espadrilles et sans vêtements de rechange.

Extrait d’une lettre du capitaine E.
« Je vous ai dépeint notre confortable installation dans une tranchée : hélas ! l’eau a envahi notre salle à manger et les campagnols ont rendu notre chambre à coucher intenable. Ces vilaines bêtes faisaient un sabbat affreux et venaient nous mordre pendant notre sommeil. On ne reculait pas devant les Boches et leurs mitrailles mais, devant ces ennemis-là, il a fallu battre en retraite… »

Lettres des tranchées :
« Nous vivons comme des cochons dans de la paille sale ; de temps en temps, un flot d’eau bourbeuse envahit notre tanière ; alors nous sautons dehors comme des crapauds… D’ailleurs, ne vous [tourmentez ?] pas : la carcasse est solide. »

Touchante reconnaissance de nos défenseurs pour la moindre attention.

« Continuez de faire de bonnes choses et de nous en envoyer, elles sont joliment les bienvenues. »

 

La Croix de la Corrèze, 15 novembre 1914. Archives municipales de Brive, 8 S 992.

La Croix de la Corrèze, 15 novembre 1914.
Archives municipales de Brive, 8 S 992.

Manufacture d’armes de Tulle

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 1334.

Carte postale. Archives municipales de Brive, 37 Fi 1334.

Créée à la fin du XVIIe siècle, elle fait partie des plus anciennes manufactures d’armes de France. Durant la première guerre mondiale, elle fabrique des fusils modèle 1886 dits « fusils Lebel » et répare les affûts du canon de 75. Pour répondre à l’effort de guerre, les effectifs sont augmentés – ils passent d’un peu plus de 800 employés au moment de la mobilisation à 4 683 en 1917 –, un nouveau dispositif horaire est mis en place afin que la production soit constante et plus de 40 000 m2 d’ateliers supplémentaires sont construits.

Gérardmer

Commune des Vosges (Lorraine).