J’avise, devant une papeterie ambulante, un ramoneur que je prie de venir le lendemain chez moi. « Ce sera aujourd’hui si vous voulez, ou jamais, dit le pseudo-nègre. Je rejoins mon corps demain. » J’engage l’homme à me suivre. Le travail achevé, je lui donne une collation : tranche de pâté, raisins arrosés de vin blanc. On cause. Le ramoneur me conte tristement qu’il est d’Eylac, près de , qu’il a 26 ans, quatre enfants jumeaux deux à deux et une femme enceinte. « Vous allez bien mon garçon ? » Son frère blessé a cinq mioches. D’ailleurs, chez lui, on était douze, et jumeaux deux à deux !
« Comment vous appelez-vous ?
– Bessou. »
Je me mets à rire. Bessou, en limousin, veut dire jumeau. La femme de Bessou est malade, une sale maladie. Épilepsie, phtisie ? Je n’ose faire préciser. Le pauvre diable ne tient pas à la vie pour lui ; mais ses petits !
« C’est dommage, lui dis-je, que je ne puisse pas prendre votre place ; une balle allemande bien ajustée me rendrait service.
– Oh ! non, non, pas vous », dit mon interlocuteur qui, me voyant secourable, s’imagine que ce serait dommage.
Enfin, je promets au pauvre ramoneur de lui envoyer un tricot que je confectionne ; lui, promet de me remercier par une carte ; et vu qu’il va se battre et qu’il est malheureux, je serre sa main noire de suie !
Servières-le-Château
Commune de Corrèze. Le château sert de prison pendant la première guerre mondiale mais est incendié par des officiers allemands en 1916. Après restauration, il sera utilisé comme préventorium.